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Accord diplomatique Iran-Arabie saoudite : le Moyen-Orient reste une poudrière

C’est ce mois-ci qu’après une rencontre à Pékin sous l’égide de Xi Jinping, l’Arabie saoudite et l’Iran ont annoncé le rétablissement de leurs relations diplomatiques. Cet accord, qui a été largement éclipsé à l’échelle internationale par la guerre russo-ukrainienne et la crise politique en Israël, prévoit la réouverture mutuelle des ambassades d’ici deux mois. Il constitue incontestablement un succès pour la diplomatie chinoise mais n’a pu se faire sans l’accord tacite de l’impérialisme américain qui, durant ces dernières années, s’est montré un soutien indéfectible de la monarchie saoudienne. Il est probablement aussi une indication supplémentaire que l’administration américaine est arrivée à la conclusion que le Moyen-Orient, et plus largement toute une partie de l’Asie centrale, ne figurent plus sur la liste prioritaire des régions où intervenir militairement. Il faut rappeler à ce propos que si les États-Unis avaient dépensé 900 milliards de dollars en Afghanistan avant d’être obligés de quitter le pays vingt ans plus tard, cette note s’élève en Irak à 3 000 milliards de dollars depuis leur intervention de 2003, sans qu’ils aient été capables pour autant de mettre sur pied un régime tant soit peu stable en position de garantir leurs intérêts. Il en va de même en Syrie, où l’appui qu’ils apportent à la résistance kurde contre le régime d’Assad ne semble n’avoir aucune chance de changer la donne. Se retirer de ces bourbiers devient pour eux prioritaire.

Vers un gel des conflits locaux ?

S’il ne faut pas attendre de miracle de l’accord irano-saoudien, qui a été salué par la Turquie, il pourrait par contre aider à geler nombre de conflits larvés ou ouverts qui secouent la région depuis longtemps. En premier lieu, la guerre du Yémen, qui a conduit à ce qui est actuellement considéré comme la pire situation humanitaire au monde. Dans ce conflit, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis soutiennent le régime en place contre la rébellion houthiste, épaulée par l’Iran, qui contrôle la moitié du pays dont la capitale, Sanaa. Puis l’Irak, où le régime chiite en place est soutenu par l’Iran, tout en ayant conservé des liens avec les États-Unis, alors que Riyad appuie peu ou prou les djihadistes sunnites liés à l’État islamique. Ensuite, la Syrie, où la guerre civile continue d’opposer le régime alaouite (une branche du chiisme) d’Assad, soutenu par l’Iran et la Russie, aux Kurdes qui ont l’appui des Américains, et à des groupes djihadistes sunnites supportés plus ou moins ouvertement par la Turquie d’abord, l’Arabie saoudite ensuite. Enfin, il faut dire un mot du Liban où chaque puissance appuie son camp confessionnel : les impérialistes occidentaux soutiennent plutôt les chrétiens et leurs milices, l’Arabie saoudite les musulmans sunnites et certains chrétiens, et l’Iran les musulmans chiites et leur bras armé, le Hezbollah.

Bien entendu l’accord diplomatique concocté ne fera pas disparaître ces conflits. Loin s’en faut. Mais il pourrait en réduire l’intensité, ce qui permettrait à l’impérialisme américain de redéployer l’essentiel de ses forces vers l’Europe mais aussi, et surtout, vers la zone Pacifique pour contrer l’influence de la Chine. D’autant plus facilement que les États-Unis ont démontré qu’avec des sanctions et sans avoir besoin d’envoyer des troupes sur le terrain, ils pouvaient paralyser l’économie d’un pays sans nécessairement le soumettre. Le cas échéant, Washington pourrait utiliser les armées de ses alliés sur place, l’Arabie saoudite mais surtout Israël, pour faire la sale besogne sans avoir besoin d’y parachuter ses GIs.

Une épine dans le pied du gouvernement de Netanyahou en Israël

Si cet accord diplomatique apparait comme une petite victoire pour l’Iran – qui peut espérer progressivement sortir de son isolement et assouplir les sanctions prises à son encontre – par contre il se fait largement aux dépens d’Israël, ou pour le moins de son gouvernement actuel, dont le chef, Netanyahou est de plus en plus contesté dans son pays. Depuis des années en effet la stratégie mise en œuvre par l’État hébreu était d’apparaître comme le fer de lance de la lutte contre l‘influence iranienne dans la région, et notamment dans ce qu’on appelle « le croissant chiite » (Iran, Irak, Syrie, Liban puis plus tard le Yémen). Pour cela, avec l’appui de Donald Trump, il avait signé les accords d’Abraham en septembre 2020 avec les Émirats arabes unis et le Barheïn, deux États très proches de Riyad. Et l’objectif que l’État hébreu s’était ouvertement fixé était de convaincre l’Arabie saoudite de se joindre à cette alliance destinée à présenter un front sécuritaire uni contre l’Iran. Il y a échoué. Ce qui  explique pourquoi les responsables de l’Autorité palestinienne, du Hamas et du Parti islamique se sont tous félicités de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran et que Benyamin Netanyahou a vu disparaitre tout espoir de soutien de l’Arabie saoudite.

Afin de ménager leur principal allié dans la région, à savoir Israël, les États-Unis se sont contentés de minimiser la portée de cet accord sans pour autant le désavouer. À la veille de sa signature, le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin, terminait en Israël une tournée de cinq jours au Proche-Orient, qui l’avait mené en Jordanie, en Irak et en Égypte. Lors d’une conférence de presse tenue avec son homologue israélien, Yoav Gallant, Lloyd Austin a rappelé plusieurs fois « l’engagement à toute épreuve » de son pays à l’égard d’Israël qui « est un partenaire stratégique majeur des États-Unis ». Quant au ministre israélien des Affaires étrangères, Eli Cohen, il avait auparavant « refusé de commenter ce développement ». Rien de bien nouveau. Mais c’est bien un revers diplomatique dont Benyamin Netanyahou se serait bien passé.

Un accord qui ne résout pas grand-chose

Si cet accord pourrait dans une certaine mesure rebattre les cartes entre trois des puissances régionales du Moyen-Orient – l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie –, et s’il est possible qu’il gèle pour un temps certains conflits, il sera en revanche incapable de les résoudre. Rivalités impérialistes pour le contrôles des richesses pétrolières et régimes dictatoriaux dont le pouvoir est basé sur les oppressions nationales, sociales, religieuses, ethniques font de cette région, où les peuples vivent dans la misère, une poudrière. C’est pourquoi, dans les années qui viennent, il faut s’attendre à d’autres explosions, d’autres massacres, d’autres guerres et d’autres exodes de populations. Jusqu’au jour où les opprimés de ces pays prendront leurs affaires en main.

Jean Liévin