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Après le succès de la deuxième journée interprofessionnelle de grèves et manifestations du 31 janvier : ça « branle dans le manche »… parce que ça bouge dans la rue et dans les entreprises !

Mardi 31 janvier, nombre de manifestants en hausse

Quasiment partout, les cortèges ont été plus importants que le 19 janvier, selon la police elle-même. D’au moins 10 % de plus. Partout, une foule archi dense et compacte. Impressionnante. Dont on sent la détermination malgré le caractère qui demeure « bon enfant ».

Tout particulièrement dans des « petites villes », où parfois un habitant sur quatre ou cinq a manifesté. Très populaire, très prolétaire, d’entreprises et secteurs du privé de toutes sortes, comme de plus grosses entreprises comme Renault à Douai. Peu de banderoles et cortèges structurés d’entreprises, même si probablement davantage que le 19 janvier.
À Paris, certains notaient qu’elles étaient plus nombreuses même si perdues parfois dans la masse. L’afflux aux manifestations est tellement massif qu’il est certainement difficile dans les plus grosses villes de se retrouver facilement avec d’autres, sous une banderole d’entreprise ou dans un cortège commun. D’où un défilé dans un joyeux désordre, mais bien significatif d’une hargne montante contre Macron et sa réforme, et plus largement le sentiment qu’« on crèvera pas pour le capital ». Derrière des banderoles voire des ballons syndicaux, les syndicats continuant à s’afficher et se mesurer les uns aux autres à coups de drapeaux et de sonos. À noter à Paris l’ouverture du cortège par une marée de ballons bleus… de la CFTC.
Ces cortèges ressemblent à de méga-assemblées générales dans les rues – lieux de discussions, d’affichage de slogans, de pancartes humoristiques narguant Macron, que des manifestants ont soigneusement rapportées :

• « La retraite mais par l’arthrite »
• « Métro, boulot, caveau »
• « Augmentez les salaires, pas l’âge de la retraite »
• « À bas la retraite des morts »
• « Un autre monde est possible… URGENT »…

Il existe manifestement une volonté collective de s’inscrire dans un mouvement général… à défaut encore d’avoir l’envie et les moyens de se lancer dans une grève générale – et les tactiques ou stratégies syndicales sont discutées (vraie grève dite par certains « reconductible », ou grève « séquencée » telle qu’esquissée à la SNCF, ou « plan de bataille aile gauche de la CGT »). À ceci près que personne n’a envie de partir sans les autres…

Nombre de grévistes en baisse par rapport au 19 janvier ?

C’est ce qui est avancé ici ou là, mais rien n’est moins sûr. Chez les cheminots, les taux de grévistes sont à la baisse selon la direction (36 % contre 46 %) mais ils restent importants chez les roulants, avec des pointes encore spectaculaires. Effectifs de grévistes aussi à la baisse dans l’Éducation nationale (selon la FSU, on passerait dans le second degré par exemple de 65 % de grévistes le 19 à 55 % le 31).

Tout cela reste à vérifier, sachant que la multitude des petites entreprises ou « petits boulots » échappent aux statistiques. Il est certain aussi que déjà le 19 janvier, bien des travailleurs d’entreprises petites ou moyennes, du fait de la perturbation prévisible des transports et de la production, ont pris des repos ou congés, mais pas toutes et tous pour rester chez eux ou en télétravail. Beaucoup sont allés en manifestation (« je ne pouvais pas ne pas être au travail aujourd’hui ») sans pour autant être grévistes. Par ailleurs, les journées de grève à répétition coûtent cher dans le contexte actuel d’inflation, etc. Surtout quand une prime importante saute en cas d’absence, carrément prime anti-grève, comme aux bus de la RATP. Dans des secteurs comme l’automobile aussi, certains acceptent de se mettre en grève une fois dans le mois mais pas deux. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’attendent pas la prochaine date de mobilisation. Difficile de généraliser : il faudrait confronter les chiffres et les observations pour confirmer ou pas cette tendance.

Du côté des directions syndicales…

Au soir de cette deuxième journée, les directions syndicales nationales affichent toujours leur unité, donc la solidité d’un genre de « front du refus » de la réforme, qui certainement est encourageante pour la mobilisation… à moins que ce soit le succès de la mobilisation qui pousse les directions syndicales à garder ce cap, au risque de se déconsidérer.

Les confédérations ont appelé le soir même du 31 janvier à deux prochaines dates: les mardi 7 (grève et manifestations) et samedi 11 février (prétendument sous pression de la CFTC pour manifester sans faire grève ?). Pas question de leur part de grève générale, ni même de propagande pour. À noter que des équipes syndicales cheminotes (tout particulièrement Sud) ont fait voter dans des AG les dates des 7 et 8 février (donc grève de 48 heures, « rectangle »). Les fédérations cheminotes qui devaient se réunir le 1er février vont-elles s’aligner sur le calendrier interprofessionnel ?

Organisation des grévistes et travailleurs mobilisés ?

Pas davantage que précédemment, les directions syndicales n’ont impulsé des AG, chez les cheminots, chez les enseignants, ou ailleurs. Mais il faut reconnaître que là où des syndicats ont appelé à des assemblées générales, ces AG ont eu du mal à faire le plein (dans l’Éducation nationale par exemple). Reste qu’il existe différentes strates, dont certaines plus liées à une base qui se mobilise, et on peut noter une certaine évolution en faveur d’assemblées générales, à la marge, à l’initiative d’équipes syndicales locales. Ces AG sont restées bien faibles numériquement, par exemple de 40 à 50 votants à la SNCF dans les grandes gares parisiennes, ou à des piquets, ou quelques AG locales et régionales « interpros ».

À l’encontre de cette organisation à la base, déjà en AG voire en comités de mobilisation ou de grève, il y a l’opposition des hautes sphères syndicales – qui insidieusement mais efficacement veulent garder la main. À ce stade, ce n’est pas encore facile de rassembler, d’organiser, de discuter et de décider collectivement de l’auto-organisation, de structurer « la grève aux grévistes », même si quelques expériences localisées sont intéressantes, entre autres à La Poste dans de petits bureaux du 92, où il a été possible de rassembler et ouvrir à large débat des travailleurs qui jusque-là ne participaient ni aux grèves ni aux assemblées générales. Ce milieu « profond » du monde ouvrier se met en branle, et pourrait rapidement être réceptif aux initiatives de structurations démocratiques. C’est la caractéristique notable de ce mouvement. Des centaines de milliers de travailleurs se mettent en mouvement et se politisent à grande vitesse au travers de cette lutte. Il peut arriver en effet que ce que l’on considère comme « d’avant-garde », des militants organisés, parfois dans des équipes habituellement combatives, soient à la traîne par rapport aux plus gros contingents de la classe ouvrière qui se mettent en branle, dans un mouvement profond comme celui que nous vivons et qui conteste bien autre chose qu’une simple réforme des retraites.

Les journées à venir des 7 et 11 février, et après ?

Macron et sa Première ministre Borne, sont attentifs… aux cortèges, bien sûr. C’est certainement leur cauchemar premier ! Même s’ils en ont un autre – auquel les médias font beaucoup de place : la question de savoir sur quels votes des députés ils pourront compter pour faire passer leur saloperie. Et ils comptent leurs ouailles : combien de députés LR qui pourraient ne pas voter malgré la promesse de Ciotti ? Combien de députés macronistes qui pourraient eux aussi faire dissidence sous la pression de la colère populaire ? Ça « branle dans le manche »… parce que ça bouge dans la rue et dans les entreprises ! Et ce ne sont certainement pas les centaines, voire le millier, d’amendements de la Nupes-LFI, ni le référendum dont le Rassemblement national et la gauche se disputent la paternité voire le dépôt devant l’assemblée, qui vont faire le plus mal à Macron.

Sans compter que les jeunes se sont montrés dans les manifestations, ou déjà dans des mobilisations de facs et lycées, certes à petits contingents encore, mais c’est un début qui peut ne pas être totalement compromis par l’entrée dans les semaines de vacances scolaires. Une situation de politisation montante, ouverte, risquée mais passionnante !

Léo Baserli, Jean Macbain, Michelle Verdier