Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Assassinats en France de militantes et militants kurdes, on n’oublie pas !

Un colloque était organisé à Paris, le 12 janvier dernier, par le Centre culturel kurde, rapprochant les assassinats récents du 23 décembre 2022, devant le siège de ce centre à Paris rue d’Enghien, de Emine Kara, Mehmet Şirin Aydin et Abdulrahman Kizil, de trois autres qui ont eu lieu dix ans auparavant, le 9 janvier 2013, au 147 rue Lafayette, de Sakine Cansiz, Fidan Dogan et Leyla Sayemez, toutes trois militantes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), abattues de plusieurs balles dans la tête. Ce colloque a été le lieu d’intéressantes interventions lors d’une première table ronde entre les avocats représentant les parties civiles, Jean-Louis Malterre et Antoine Comte, l’éditeur Nils Anderson et la journaliste Laure Marchand (journaliste pendant dix ans en Turquie). Cette dernière a travaillé à un ouvrage de 200 pages1 rassemblant de multiples pièces de ces « affaires d’État », ouvrage évoquant par ailleurs l’histoire du PKK comme les vingt ans d’histoire politique de la Turquie d’Erdoğan. Ces documents et témoignages aboutissent aux mêmes conclusions de complicité de responsables politiques français avec les services secrets turcs, auteurs d’assassinats politiques.

La fable d’aujourd’hui

Les trois victimes récentes de la rue d’Enghien seraient tombées sous les balles d’un prétendu fou raciste dont la garde à vue était levée dès le lendemain de son arrestation, le tueur conduit à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Selon Darmanin, on n’aurait pas su s’il visait « spécifiquement les Kurdes », il n’était « même pas connu de la police comme quelqu’un d’ultra-droite ». On pourrait se contenter de cette fable d’un tueur (qui avait certes déjà attaqué à coups de sabre en décembre 2021 un campement de migrants à Paris et était détenteur d’un arsenal d’armes sans permis) poussé au crime par un climat raciste savamment entretenu – les vrais responsables étant à chercher du côté de ceux qui cultivent le racisme, c’est-à-dire non seulement l’extrême droite mais le gouvernement lui-même (et ses prédécesseurs) avec leurs politiques anti-immigrés ; comme du côté de ceux qui s’en servent pour asseoir leur pouvoir en Turquie ou ailleurs.

Un peu osé, tout de même, de prétendre qu’il ne savait pas « spécifiquement » qui il visait, à l’entrée du Centre culturel kurde de la rue d’Enghien, à l’heure d’entrée d’une réunion qui devait préparer la commémoration des assassinats commis dix ans plus tôt. Le tueur semblait plutôt bien renseigné pour un homme qui était sorti de prison à peine dix jours plus tôt (libéré au terme d’un an de détention provisoire, faute de jugement, un an après son agression raciste de 2021).

Il y a dix ans déjà…

On sait presque tout des responsabilités des services secrets turcs dans les assassinats, et absolument tout de la façon dont le gouvernement français les a couverts. L’homme de main qui a abattu les trois militantes, proche du mouvement d’extrême droite truc des Loups gris, avait été infiltré par les services secrets turcs, le MIT, au sein du PKK en région parisienne. C’est ce que le parquet lui-même reconnaissait, en 2015, à la suite de l’enquête, se demandant seulement si les agents du MIT avaient agi « avec l’aval de leur hiérarchie » ou « à l’insu de leurs services ».

La mort en prison en 2016 de l’assassin présumé, Ömer Güney, d’une tumeur cérébrale, éteignait toute action judiciaire, faute désormais de coupable. Ce qui n’a pas empêché les avocats de la défense de demander la réouverture du dossier et de poursuivre l’enquête. Et de découvrir quelques ordres de missions du MIT mentionnant le projet d’assassinat, grâce à des documents révélés par la presse turque elle-même et authentifiés par les services secrets allemands, des enregistrements ayant fuité sur internet de conversations où l’on reconnait la voix de l’assassin, évoquant des projets d’assassinats en Europe, et des informations sur des déplacements entre la Belgique et la France pour surveiller des locaux d’associations kurdes, déplacements aussi d’agents des services turcs en lien avec l’assassin de Paris. Des informations rendues publiques par les avocats de la défense des militantes assassinées en 20132.

Mais lorsque les avocats des victimes ont demandé communication des informations que les services français possédaient sur ces assassinats de 2013, ils se sont vu opposer un refus au nom du « secret défense », et n’ont obtenu que la communication de quelques bribes, les pages des rapports étant couvertes presque intégralement de caches d’encre noir : « secret défense » ! Lors du colloque, les avocats ont montré ces pages noires ! Il s’agit bien de la défense du maintien de bonnes relations entre le gouvernement français (sous Hollande comme sous Macron) et la dictature qui règne en Turquie.

Les raisons de la complicité des autorités françaises (et allemandes et belges) avec la dictature turque

Il n’y a pas besoin d’aller chercher bien loin : bas coût de la main-d’œuvre dans ce pays, avantageux pour des sociétés comme Renault ou Bosch qui y ont leurs usines, et un régime qui leur est utile pour tenter de briser tout syndicat, sauf le syndicat lié au pouvoir, et protéger ainsi les multinationales contre les grèves. Sans oublier les autres petits services demandés à l’ami au pouvoir en Turquie, celui de garder dans des camps les réfugiés victimes des conflits dans les pays voisins (la Syrie tout particulièrement) pour éviter qu’ils viennent en Europe occidentale. Le sort du peuple kurde ne les préoccupe guère, pas plus que le sort des Syriens ou des Afghans dans la région. Ce n’est que dans la courte période où les grandes puissances occidentales se sont servies des troupes de la région kurde libérée de Syrie, le Rojava, pourtant dirigée par le PYD, branche syrienne du PKK, qu’on a vu les gouvernants occidentaux encenser momentanément les Kurdes. On avait besoin d’eux pour mourir dans la guerre contre Daech, pendant que les occidentaux la faisaient surtout du haut du ciel. Même dans cette période, les puissances occidentales avaient maintenu le PKK sur la liste mondiale des organisations terroristes à bannir, pour ne pas déplaire au gouvernement d’Ankara. Depuis elles ont à nouveau laissé le peuple kurde de Syrie et de Turquie aux mains de Bachar el-Assad et de Recep Erdoğan.

C’est dans les hautes sphères gouvernementales et du côté de leurs services secrets respectifs qu’il faut chercher les principaux responsables des crimes de Paris et ceux qui les couvrent. Ils ne sont pas seulement à Ankara.

Olivier Belin, 25 janvier 2023

 

1 Laure Marchand, Triple assassinat au 147, rue La Fayette, SOLIN/Actes Sud, 2017, 19 euros.

2 Cf., Le Monde du 20 mai 2021.