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Conducteurs de trains de Saint-Lazare : un coup de sang salutaire !

Mardi 9 mai à neuf heures, les quais de la gare Saint-Lazare sont bondés, comme ceux des gares de banlieue attenantes. Les trains qui circulent sont rares et ne sont plus affichés qu’au coup par coup. Problèmes sur les voies ? Accident de personne ? La présence de petits groupes de conducteurs et conductrices qui vont de cabine en cabine pour discuter avec leurs collègues à chaque arrivée de train dans la gare, talonnés par des chefs et des huissiers, témoigne d’une cause plus inhabituelle : dès les premières prises de service vers 3 heures 30 du matin, celles et ceux qui conduisent les trains ont massivement débrayé en utilisant leur droit de retrait. Ils se rassemblent, compilent leurs problèmes : de toute évidence, ils ne datent pas d’hier, mais la coupe est pleine !

Trains supprimés pour manque d’effectif, ras-le-bol !

Depuis fin 2021, le sous-effectif subi de longue date dans bien des services frappe de plein fouet les conducteurs. Libération estime dans un article à 1 200 le nombre de ceux qui manquent dans le pays. La faute à pas de chance ? Ou plutôt à des années de suppressions de postes imposées au nom de leur sacro-sainte « productivité » ? Sans compter la belle incompétence de la direction et des pouvoirs publics sur l’anticipation des besoins en transport collectif post-pandémie de Covid-19 : ils estimaient – au doigt mouillé ? – que le retour à la fréquentation d’avant la crise sanitaire n’interviendrait qu’à l’horizon 2024. Perdu ! Sur la région de Saint-Lazare ce sont environ 80 conducteurs, soit 10 à 15 % de l’effectif, qui manquent pour assurer un plan de transport dit normal. Et comme les patrons de la SNCF veulent faire entrer des carrés dans des ronds pour supprimer le moins de trains possible, ce sont des journées de service prévues qui sont remplacées, souvent au dernier moment, par d’autres services aux horaires bien différents, avec parfois jusqu’à quatre trains et deux heures de service à faire en plus qu’initialement. Mais tout a ses limites ! Dans un métier où la flexibilité des horaires est déjà très grande et où l’organisation de sa vie sociale et personnelle pourrait figurer comme discipline aux Jeux olympiques, la politique de faire payer aux agents le sous-effectif est insupportable.

Déjà, en juin 2022, les conducteurs à la banlieue de la région de Paris Saint-Lazare avaient fait cinq jours de grève sur ces motifs, dont deux journées en « dépôt de sac » (grève s’affranchissant devant l’urgence et la gravité de la situation de l’obligation individuelle de se déclarer gréviste au moins 48 heures en amont). Devant la détermination des grévistes et la possibilité que le mouvement fasse boule de neige, la direction avait dû céder sur quelques points : elle avait annoncé un plan de recrutement de 120 agents, réaffirmé le droit de faire respecter ses horaires prévus et accordé une prime de 1 000 euros en compensation des conditions de travail dégradées des derniers mois. Mais la formation de conducteur dure au minimum un an et une fois la pression relâchée, la direction est revenue à ses mauvaises habitudes. Cerise sur le gâteau, elle a mis en place une nouvelle restructuration d’ampleur en avril dernier : la suppression des « feuilles ».

Direction dure de la feuille ?

Les « feuilles » sont les locaux de prise et de fin de service des conducteurs, où travaillent les agents qui gèrent leurs plannings. Le terme remonte à l’ère pré-informatique où les conducteurs venaient prendre leurs services et repartaient avec leurs « feuilles de route ». Les directions de la SNCF comptent aujourd’hui s’appuyer sur le développement de nouveaux « progiciels » pour supprimer à terme certains postes de ces agents. Une nouvelle recherche d’économies qui se double de considérations plus politiques : le contact humain et solidaire entre agents du planning et conducteurs est évidemment vu par la hiérarchie comme un obstacle pour imposer de futures dégradations des conditions de travail. Sur la région SNCF de Saint-Lazare, la direction a donc décidé de diminuer le nombre d’agents gérant les plannings et de les concentrer à Paris dans de nouveaux locaux coupés des conducteurs et donc du contact avec ces derniers. Résultat : face aux changements brutaux de leurs journées de service, les conducteurs ont désormais bien moins d’interlocuteurs : moins de moyens humains pour arrondir les angles en jonglant avec les plannings ! La désorganisation a donc progressé et la colère est devenue palpable.

Elle s’est exprimée le 9 mai à l’initiative de militants syndicaux qui ont déposé un droit d’alerte et fait le tour des collègues pour appeler à débrayer. Si l’action a bel et bien surpris la direction, qui a mis plusieurs heures à réagir et à trouver quelques chefs prêts à se poster à l’arrivée des trains pour dissuader par leur présence les conducteurs de débrayer, elle a surpris les collègues eux-mêmes, par son succès ! Les revendications avaient été peu discutées en amont et les perspectives pour continuer l’action plus d’une journée n’étaient pas évidentes. Mais le coup de sang a été salutaire. La direction cherche pour le moment à s’en sortir avec des aménagements à la marge. Mais rien n’est fini. La détermination et la colère appellent des suites rapides. Ce qui s’est passé à Saint-Lazare pourrait annoncer une nouvelle vague de conflits partout à la SNCF, tant les problèmes de sous-effectif et de bas salaires y sont criants, quels que soient la région ou le service.

Correspondants