Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Derrière le natalisme : une idéologie réactionnaire à des fins racistes

Le débat sur la réforme des retraites a vu renaître la politique « nataliste », comme solution aux déficits, depuis les rangs de l’extrême droite. Le vice-président RN de l’Assemblée nationale, Sébastien Chenu, l’a dit on ne peut plus clairement sur France Inter le 13 février : « Je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe. » On appréciera la haute idée que le RN se fait de la reproduction : aux femmes de « fabriquer » de la chair à patrons ! Tout ça pour boucher les éventuels déficits futurs des caisses de retraite ? Cela n’a pas empêché cette grossière propagande de faire son chemin, reprise également par le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux ainsi que par des députés Les Républicains.

Travail, famille, patrie : la même rengaine depuis Pétain

La politique nataliste n’est pas une nouveauté. Elle consiste, pour un État, à appliquer des mesures censées stimuler la natalité. La plupart des pays dits développés, tous confrontés à une chute des naissances sous la barre des deux enfants par femme qui permettent de stabiliser la population, pratiquent des politiques d’incitation à la natalité sous diverses formes. En France, il existe plusieurs dispositifs financiers : le quotient familial et les allègements fiscaux, les allocations familiales, les congés de parentalité, etc.

Les allocations familiales sont apparues dans les années 1930. À cette époque, elles étaient versées par l’employeur aux salariés sous forme de compléments de salaire. À la fin de cette décennie, tandis que les femmes mariées acquièrent quelques droits, comme celui d’ouvrir un compte en banque, elles ne peuvent travailler qu’avec l’autorisation de leur mari. Le Code de la famille de 1939, institué par le gouvernement d’Édouard Daladier, un gouvernement réactionnaire dirigé par le Parti radical suite aux trahisons du Front populaire, instaure une politique de natalité en créant une prime à la naissance, ou encore une « allocation mère au foyer » pour les familles dont la femme ne travaille pas.

À partir de 1940, Pétain s’appuie sur ce Code de la famille de 1939 et place la politique familiale et nataliste parmi les priorités du nouveau régime. Tandis que le travail des femmes est restreint, des milliers d’entre elles sont condamnées pour « crime contre la sûreté de l’État » parce qu’elles ont avorté.

Après 1945, même si certaines lois du régime de Vichy sont annulées et le Code de la famille de 1939 remanié, le taux d’emploi des femmes est bas et le restera jusqu’en 1965. La politique familiale est maintenue, notamment à travers les allocations familiales institutionnalisées par la création des caisses d’allocations familiales.

Ces politiques natalistes mises en œuvre depuis les années 1930 n’ont cependant pas eu beaucoup d’efficacité. L’indice de fécondité a régressé passant de 2,3 enfants par femme en 1930 à 2 en 1940. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, une augmentation des naissances jusqu’à la fin des années 70, le « baby-boom », a été observée dans plusieurs pays dont certains, comme l’Angleterre, n’avaient pas mis en place de politique en faveur de la natalité. La progression exceptionnelle des naissances en France au début du siècle, appelée « boom » de l’an 2000, tient davantage à une conjoncture économique plus favorable qu’à une intervention politique.

Derrière le natalisme du RN : l’idéologie raciste du « grand remplacement »

Le Rassemblement national reprend aujourd’hui à son compte le « natalisme » au prétexte de sauver le système de financement des retraites par répartition : augmenter la population, c’est augmenter le nombre de cotisants. À voir ! Car il faudrait attendre un certain temps entre la gestation et l’entrée dans la vie active – à moins que ces solutions natalistes ne s’accompagnent d’un retour au bon vieux temps du travail des enfants ? Et après leur vie active, tous ces beaux bébés de la génération conçue comme recette pour renflouer les caisses passeraient du côté des dépenses !

Mais, en réalité, si le RN met en avant la politique nataliste, c’est dans des objectifs bien différents. Son modèle, c’est Victor Orbán en Hongrie, qui n’a pas spécialement un problème de retraites mais dont les mesures financières d’incitation, relativement importantes, sont réservées exclusivement aux femmes de nationalité hongroise. Peu importe que cette politique n’ait aucune influence sur le taux de fécondité qui reste à son plus bas historique, de l’ordre de 1,4 enfants par femme. Il s’agit seulement d’un élément de propagande raciste dans le cadre du « grand remplacement ». Cette théorie, inventée par le militant d’extrême droite Renaud Camus, a inspiré des terroristes racistes comme l’auteur de l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande (77 morts en 2019) ou celui de la tuerie d’Utoya en Norvège (69 morts en 2011). Elle est reprise ouvertement par Orbán, mais aussi en France par Éric Zemmour, Marion Maréchal, ou le RN.

C’est dans ce cadre que l’extrême droite place cette politique « nataliste » : non seulement contre les droits des femmes, mais également contre les étrangers. Les mesures proposées par le RN s’adressent exclusivement aux familles dont au moins un des deux parents est français. Raison pour laquelle Sébastien Chenu oppose le fait de faire des enfants, ou plutôt de « fabriquer des travailleurs français » comme il dit, au fait de « les importer » : bégaiement systématique de l’extrême droite qui ramène tous les sujets à un bouc émissaire, l’immigré.

« Mon corps, mon choix ! »

Derrière certaines mesures d’apparence sociale, ces politiques natalistes mises en avant par l’extrême droite visent à ramener les femmes à leur statut de reproductrice, de « femme au foyer » comme dans les années 1930. C’est nécessairement une politique de régression de la condition des femmes.

Les luttes féministes ont permis d’acquérir certains droits, comme l’IVG ou la contraception, à rebours des politiques natalistes. Les femmes s’émancipent du rôle de reproductrice que la société patriarcale leur assigne. Depuis qu’elles ont gagné leur indépendance économique en 1965, en obtenant le droit de travailler et d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur époux, le taux d’activité des femmes a fortement progressé, y compris pour celles ayant de jeunes enfants. Le développement des services de garde d’enfant au cours des dernières décennies, ainsi que la généralisation de l’électroménager ont accompagné et permis l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. Mais le combat est encore à mener : le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) sur le sexisme en France fait état que 40 % des hommes, contre 27 % des femmes, déclarent qu’il est normal que les femmes s’arrêtent de travailler pour s’occuper des enfants !

Le problème n’est pas d’inciter ou de dissuader les femmes d’avoir des enfants. C’est à elles de décider ! Mais de créer les conditions pour que les charges éducatives et ménagères ne pèsent pas majoritairement sinon exclusivement sur elles. Cela passe par le combat contre les préjugés sexistes et pour l’égalité des droits. Cela ne suffit pas : depuis à peine quelques années, le congé parental est partagé également « en droit » entre hommes et femmes. Mais les mères le prennent plus souvent et plus longtemps que les pères. La lutte englobe aussi l’égalité des salaires, le développement de services publics gratuits et de qualité. Que vaut l’égalité en droit pour une mère célibataire lorsqu’il manque de places en crèche ?

Quand les courants réactionnaires mettent en avant les politiques natalistes, cela n’est généralement pas bon signe pour les femmes : la remise en cause du droit à l’avortement n’est jamais loin. Les combats pour le droit des femmes à disposer de leur corps et pour leur émancipation sont plus que jamais à l’ordre du jour !

Stella Monnot

 

 


Tous les articles de notre dossier 8 mars :