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En Allemagne aussi, la grève s’étend : paralysie des transports lundi

Un spectre hante l’Europe… les grèves ! Alors que les épisodes grévistes se multiplient au Royaume-Uni, et ce depuis des mois, les travailleuses et travailleurs d’Allemagne ne sont pas en reste. Et ce n’est pas un hasard. Car d’une part l’inflation continue de dévorer les salaires et, d’autre part, les grandes entreprises font des bénéfices insolents et ne veulent quasiment rien céder. En Allemagne, il se profile, pour lundi 27 mars, une paralysie des transports, provoquée par un appel à la grève pour des hausses de salaire dans toutes les infrastructures de transport : trains, bus, avions, bateaux, et jusqu’à certaines autoroutes puisque les travailleurs des péages ou de la surveillance des tunnels seront également mobilisés.

La grève se généralise

Fait peu commun, c’est d’un appel conjoint de deux syndicats qu’émane la grève, le syndicat des chemins de fer et des transports (EVG) et celui du secteur public (Ver.di). La grève concernera donc à la fois les salariés des transports et, pour la première fois, tous ceux des services publics. Par-delà les branches donc, les revendications qui se dégagent avoisinent les 650 euros d’augmentation pour tous. Avec quelques variations : 15 % à la poste, 10 % dans les services publics fédéraux et communaux (TVÖD) mais avec un minimum de 500 euros en plus pour tous, et au moins 650 euros de plus pour tous dans les chemins de fer. Toutes ces revendications portent sur une durée d’un an (et non davantage, car en Allemagne, les augmentations de salaire sont négociées dans le cadre d’accords collectifs pour une durée dépassant souvent un an, voire deux, pendant laquelle il est interdit de faire grève). Un an, c’est déjà long avant d’entamer de nouvelles négociations salariales dans cette période d’inflation, où l’évolution de la hausse des prix est tout à fait incertaine.

La Deutsche Bahn et l’Association des aéroports allemands (ADV) ont fustigé cet appel à la grève le 27 mars et parlent d’une situation qui dégénère à la française. Le directeur général de l’ADV, Ralph Beisel, a vivement critiqué l’escalade actuelle dans un communiqué : « Les syndicats font leurs adieux à la tradition éprouvée qui veut qu’en Allemagne, les solutions soient trouvées à la table des négociations. Les actions de grève annoncées pour lundi dépassent toute mesure imaginable et justifiable. Cela n’a plus rien à voir avec une grève d’avertissement. Il s’agit plutôt d’une tentative d’introduire des conditions françaises en Allemagne par le biais d’une grève générale. »

Et pour cause. L’ambiance est à la grève dans beaucoup de secteurs. À la Poste, 86 % des membres de Ver.di se sont prononcés en faveur de la grève lors d’une votation générale. Jeudi et vendredi derniers ont eu lieu des grèves dans les services publics, en particulier dans les hôpitaux et dans certains services de collecte des déchets comme à Berlin. Les enseignants berlinois et leur syndicat GEW ont également fait grève deux jours la semaine dernière. Leur revendication : des classes avec moins d’élèves, pour permettre une éducation de qualité sans burnout des enseignants, lesquels se multiplient. Mais la municipalité de Berlin fait la sourde oreille et refuse de discuter depuis des mois.

De l’argent, il y en a !

Face à la colère, le gouvernement allemand se réfugie derrière l’idée que l’inflation diminuerait. Mais si, en février, le taux d’inflation moyen était en Allemagne de 8,7 %, les prix des denrées de première nécessité ont augmenté bien plus fortement : pour l’ensemble des denrées alimentaires + 21 %, pour le mazout + 37 %, pour le gaz naturel + 55 %… De quoi alimenter la colère et l’envie de se battre pour de meilleurs salaires, et ce d’autant plus que les grands groupes allemands peinent à cacher les fortunes engrangées. Sur l’année écoulée, la Deutsche Post a par exemple réalisé un bénéfice de 8,4 milliards d’euros. À l’heure où le gouvernement s’engouffre à corps perdu dans un élan de militarisation, et dépense pour cela 100 milliards pour des armes de mort, la disette sur les salaires et les services publics fait grincer les dents. Dans les transports, l’un des secteurs appelé à la grève lundi, la colère monte depuis plusieurs semaines déjà.

Une mobilisation sur le long terme à la Deutsche Bahn

Un rassemblement a réuni à Berlin, mardi 14 mars, devant la gare centrale, plus de 1 000 cheminots, venus de différentes entreprises de transport ferroviaire, ainsi que des salariés du transport routier de voyageurs. Salariés de la maintenance venus de Wittenberge (dans le Brandebourg), travailleurs de la filiale Station & Service en charge de la gestion des gares venus de Hambourg, agents des services informatiques et de l’infrastructure de Berlin ou ayant fait le déplacement depuis la Bavière… L’ambiance était joyeuse et combative, à tel point que plusieurs des participants faisaient remarquer que la grève aurait pu commencer immédiatement. Sur les banderoles, on pouvait lire : « Jeunesse de Munich – 650 de plus, c’est juste », « Prime d’inflation trop faible – Nous voulons plus ! »

Pour l’instant, la Deutsche Bahn n’a présenté qu’une « offre » alignée sur celle du secteur public, c’est-à-dire 3 % d’augmentation à partir du 1er décembre 2023, puis à nouveau 2 % à partir du 1er août 2024. À cela s’ajoutent 2500 euros de « prime de compensation de l’inflation », et un « salaire minimum ferroviaire » de 13 euros à partir de 2024. Le syndicat principal de la branche, l’EVG, a refusé cette offre, que beaucoup ont qualifiée de plaisanterie. La direction de la Deutsche Bahn s’est offusquée de ce refus et joue la carte du dialogue social : elle n’a de cesse de répéter qu’elle est prête à négocier à tout moment. Un manège bien connu.

Des directions syndicales édentées

Et les directions syndicales sont attendues au tournant. Après l’épisode d’un « compromis » décrié auquel s’est livrée la direction du syndicat Ver.di à la poste, coupant court à la grève avant même qu’elle n’ait commencé, les débats vont bon train chez les territoriaux et les cheminots sur le fait qu’il est hors de question d’accepter les propositions d’augmentation inférieures à l’inflation. Il y a en effet de quoi se méfier. Le syndicat des conducteurs de train, le très corporatiste GDL, dont le secrétaire Claus Weselsky est par ailleurs adhérent du Parti démocrate-chrétien (CDU), rappelle qu’il y aura tout de même, en mars, 1,8 % d’augmentation… Une aumône qui ne serait réservée qu’à certains, au bon vouloir de la Deutsche Bahn ! En revanche, sur le terrain, dans les assemblées de travailleurs, c’est une tout autre ambiance. La récente assemblée du GDL des travailleurs du S-Bahn, le réseau de RER allemand, s’est positionnée : elle demande 30 % d’augmentation et un temps partiel spécial pour les collègues ayant dépassé les 50 ans et pour ceux lourdement handicapés.

Chez les enseignants se dressent les mêmes obstacles : la direction du syndicat GEW n’organise jusqu’à présent que des grèves d’avertissement, pour des journées isolées, alors qu’il y a de nombreuses discussions parmi les enseignants au sujet d’une grève illimitée, qui serait nécessaire pour faire pression sur les décideurs politiques.

L’union fait la force

La dynamique actuelle, qui voit fleurir les grèves dans différents secteurs, traduit l’idée, qui devient de plus en plus palpable, que les travailleurs et travailleuses ont les mêmes intérêts, quel que soit leur secteur. Et devraient faire bloc contre ceux qui s’opposent à eux, en face, particulièrement unis, que ce soit dans les étages des directions patronales ou au gouvernement. Les expériences des uns sont aussi sources d’enseignement pour tous. Le précédent de la grève avortée à la Deutsche Post du fait du sabotage par les directions syndicales est beaucoup discuté, notamment dans la bagarre qui se profile dans les transports et les services publics. De même que les raisons pour lesquelles la direction de la poste a veillé à tout prix à éviter la grève : la conscience grandit que ce que craint le patronat, c’est la contagion. C’est dans cet esprit que les employés des hôpitaux berlinois se sont déjà mobilisés pour que les actions collectives des différents syndicats soient regroupées, tandis que certaines assemblées de grève du personnel enseignant se sont également prononcées en ce sens. Et chez les postiers, la deuxième votation générale est en cours… Et bien qu’il suffise de 25 % d’approbation (selon les règles internes de Ver.di) pour valider le compromis pour lequel le syndicat a suspendu la grève, les salariés peuvent être nombreux à vouloir continuer la lutte ! Légalement ou non ! Et le signal n’en sera que plus fort pour les grèves en cours dans les autres secteurs mobilisés.

Correspondants