NPA Révolutionnaires

Nos vies valent plus que leurs profits
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Généraliser l’apprentissage et les stages au service du patronat

Début mai, Macron est revenu à la charge en annonçant une nouvelle mouture de la réforme du lycée professionnel, pas vraiment différente de celle contre laquelle les lycées s’étaient mobilisés en octobre et novembre derniers. Objectif : le lycée professionnel doit s’inspirer, encore plus qu’il ne le faisait, du modèle de l’apprentissage en réduisant les élèves au statut de futurs travailleurs, sans toutefois offrir les rares droits prévus par le statut d’apprenti.

Imposer l’apprentissage même quand les élèves n’en veulent pas

Une différence essentielle entre formation en établissement d’enseignement et apprentissage est que l’apprenti n’est pas sous statut scolaire mais sous contrat d’apprentissage, qui est un contrat de travail. Il touche une rémunération (minime et dépendant de son âge) et passe une partie de son temps de formation en entreprise, jusqu’à la moitié, le reste au centre de formation pour apprentis (CFA). Il ne bénéficie pas des congés scolaires mais de cinq semaines de congés, comme l’ensemble des salariés.

La volonté de l’État de développer l’apprentissage a été remise au goût du jour dans les années 2000, qui auront décidément représenté un tournant dans les politiques d’éducation. En 2006, le gouvernement Villepin avait abaissé l’âge légal de l’apprentissage à 14 ans. Cela n’avait été suivi d’aucun effet, les patrons eux-mêmes ne voulant pas avoir à s’occuper des adolescents de cet âge et préférant les laisser aux bons soins des enseignants de collège…

Depuis, l’âge légal à partir duquel on peut devenir apprenti a été porté à nouveau à 16 ans, 15 ans dans certaines circonstances particulières. Mais les réticences des équipes éducatives, et aussi des familles et des jeunes eux-mêmes, face à l’apprentissage n’ont pas empêché les ministres successifs d’en vanter les mérites, avec leurs méthodes insistantes. Dans les années 2010, les seules ouvertures de formation acceptées facilement par les rectorats dans les LP étaient des sections d’apprentis, les conseils d’administration étant fortement incités à en ouvrir dans les LP, avec des chantages aux suppressions de postes. Ces sections ont parfois même été imposées sans demander l’avis des enseignants, des élèves ou des parents…

Les pouvoirs publics n’ont donc pas ménagé leurs efforts pour attirer les jeunes vers l’apprentissage. Mais rien n’y a fait ! L’apprentissage n’a pas décollé. Alors, d’où vient que le gouvernement se vante d’une « explosion » du nombre de jeunes sous statut d’apprentis ? Dans la réalité, cela ne concerne ni les CAP, ni les bacs pros, dont la proportion reste stable, voire baisse1. Ce qui a fait exploser le nombre d’apprentis, ce sont… les étudiants ayant choisi une formation « en alternance » qui leur permet de payer leurs études, situation permise par la réforme de la voie professionnelle de 2018. Les aides publiques pour pousser les entreprises à prendre des apprentis pendant le Covid se sont aujourd’hui généralisées pour devenir une politique : jusqu’à la fin du quinquennat Macron, les entreprises reçoivent 6000 euros de la poche de l’État sans garantie que le jeune se fera embaucher ensuite.

La plupart des jeunes ne veulent pas de l’apprentissage qui apparaît comme moins efficace pour leur formation. Le SNUEP, le syndicat FSU des LP, affirme que les taux de réussite aux examens professionnels sont nettement moins bons pour les apprentis que pour les élèves des LP – 41,4 % contre 67,1 % pour les bacs pro, 58,6 % contre 72,9 % pour les CAP –, tandis que le taux de poursuite d’études est de 9,6 % en apprentissage contre 49 % en LP2. Précisément, le but du gouvernement est de former de manière minimale de la main-d’œuvre rapidement.

Avec la réforme du lycée professionnel, ce dernier se cale donc sur le format de l’apprentissage, sans les menues protections de l’apprenti en contrat de travail et sans la formation éducative et polyvalente qu’il proposait avant.

Apprentis, stagiaires, lycéens : des statuts bien différents

Le stagiaire de la réforme du lycée pro n’a pas le statut d’apprenti : il ne cotise donc ni pour le chômage, ni pour la retraite, n’a pas le droit de grève, ni de représentation. En résumé, il n’est pas salarié, juste « gratifié » pour ses activités. Cela s’inscrit dans la volonté générale de faire bosser pour des salaires toujours plus bas, et dont le conditionnement du RSA ou le développement des services civiques sont aussi la traduction.

En outre, l’entreprise ne peut offrir le cadre éducatif et culturel proposé par les enseignants et le personnel du lycée professionnel. Malgré tous les défauts du système scolaire, la communauté éducative est plus à même de prendre en charge des problèmes familiaux et sociaux que n’importe quelle entreprise. Côté enseignement, les heures de matières générales ont déjà diminué d’environ un tiers depuis la réforme Blanquer de la voie pro et les heures d’atelier vont encore être amputées au profit des heures de stage où les tâches exigées peuvent être spécialisées et répétitives.

Stages en entreprise et formation

Depuis qu’ils ont été (re)créés au début des années 1980, les stages en entreprise sont devenus des « périodes de formation en milieu professionnel » (PFMP), consacrant ainsi un rôle de « formation » dévolu aux patrons. Or, même dans le cas d’une entreprise qui ne prendrait pas par-dessus la jambe la formation des stagiaires, celle-ci tourne nécessairement autour des spécialités de l’entreprise et ne donne pas à l’élève les moyens d’être apte à un autre contexte dans une autre entreprise ; à l’inverse, l’enseignement dispensé en LP se doit de former l’élève à toutes les facettes d’un métier.

Le but affirmé est que les jeunes de LP apprennent à connaître le monde de l’entreprise et se forment en fonction des besoins des bassins industriels pour leur éviter le chômage. Dans la réforme du lycée professionnel, un module s’intitule ainsi « insertion professionnelle et un « bureau des entreprises » accueillera des acteurs du privé au sein de chaque lycée. Comme si un futur travailleur avait des chances d’échapper sa vie durant au monde de l’entreprise ! Ce dont les élèves des classes populaires ont le plus besoin et qu’ils n’ont que peu de chance de faire plus tard, c’est étudier les classiques, les mathématiques, la physique, bref tout ce qui contribue à la culture générale. Cela, si l’école ne le leur apporte pas, ils ont peu de chances de l’acquérir, en tout cas bien plus difficilement. Alors que les quelques savoir-faire appris en stage feront le quotidien de sa vie de salarié.

Il reste que, malgré tout cela, les élèves apprécient généralement tout de même les stages – du moins tant qu’ils ne dépassent pas certaines limites, car ils sont loin de se précipiter vers l’apprentissage où l’on passe bien plus de temps dans « l’Entreprise ». Ils les apprécient entre autres parce qu’ils passent ainsi plusieurs semaines en étant souvent traités comme de jeunes collègues par les salariés des entreprises où ils sont accueillis et non plus comme des « élèves » soumis à une discipline parfois infantilisante. Ces semaines de stage constituent comme une respiration dans une scolarité au fond relativement terne.

Si pour l’État, l’ensemble de ces réformes de la voie pro fournit une main d’œuvre gratuite à des patrons, il s’agit tout autant de tenter de casser l’image négative de « l’Entreprise ». En tout cas, c’est le but visé. Mais pas sûr que ça réussisse. Parce que « l’Entreprise » capitaliste n’a besoin de personne pour se montrer sous sa véritable image, et elle n’est pas vraiment attirante.

Barbara Kazan et Jean-Jacques Franquier

Sur le même sujet, à lire également : Réforme des lycées pro : mettre les lycéens les plus défavorisés toujours davantage sous la coupe du patronat !


 
Notes
 

1 « En effet, selon les données de la Dares, le service des statistiques du ministère du Travail, les apprentis préparant une formation de niveau CAP représentaient environ 27 % des nouveaux contrats signés en 2020, contre près de 36 % un an plus tôt, et 41 % en 2018. En 2021, d’après les derniers éléments que vient de communiquer la Dares, leur part a encore chuté, à 22 %. Dans le même temps, celle des bac+3 ou plus a décollé, de 21 % en 2018 à 40 % en 2021. » Article de Capital du 8 février 2022 : « Apprentissage : pourquoi les chiffres records doivent être pris avec des pincettes »

2 Voir la brochure éditée par le SNUEP sur le devenir de l’enseignement professionnel : https://snuep.fr/wp-content/uploads/2022/09/SNUEP_J130.pdf