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Il y a dix ans : mariage gay, manif pour tous et foire aux réacs

Le 17 mai 2013, le mariage était ouvert, de par la loi française, aux couples gays et lesbiens. Cela après bien des péripéties et des mobilisations, en sa faveur comme à son encontre, de la part essentiellement de milieux catholiques traditionnels pour qui il fallait à un gosse « un papa et une maman » (même si le bon Dieu n’a jamais pu affirmer que le papa était le bon !). Dix ans plus tard, l’idée ne semble plus déranger grand monde, à part les milieux les plus droitiers et réactionnaires – certains maires confient encore à leurs adjoints ces cérémonies. Le mariage pour tous semble entré dans les mœurs au point qu’en une décennie, la majorité de ses opposants de l’époque ont changé d’avis ou ont suivi le sens du vent. Leur archaïsme n’étant plus alors un argument de vente mais un frein pour leur carrière. Parmi les convertis dont les médias déclinent des listes, on trouve Valérie Pécresse, Christian Estrosi, Éric Ciotti, Éric Woerth et même Gérald Darmanin : ce dernier qui nous a habitués à chasser sur les terres de l’extrême droite, parle en la circonstance d’une erreur pour qualifier sa position clairement homophobe de l’époque. Même le RN ne parle plus d’abroger la loi, laissant ça à Laurent Wauquiez, Gilbert Collard et Éric Zemmour. C’est bien pourtant l’essentiel de la droite et de l’extrême droite qui, à l’époque, avait participé à la déferlante de haine anti gays et lesbiennes.

La droite se refait une santé sur le dos des homos

C’était une des promesses de Hollande, probablement l’une des seules qu’il aura tenue : à peine un an après le début de son mandat, son gouvernement met en chantier la loi en faveur du « mariage pour tous », une revendication de longue date de nombreuses associations et militants LGBTI. Tout ce que le pays compte de rétrogrades se met alors en branle contre cette loi. La droite y voir l’occasion de reprendre du poil de la bête en s’érigeant en tête de file de l’opposition au mariage gay, mettant à sa remorque l’extrême droite et l’Église en prétendant incarner les valeurs traditionnelles de la famille. La droite manifestait à cette occasion derrière une même banderole que l’extrême droite. Cherchant à gagner le soutien d’un électorat populaire qu’elle s’imaginait pétri d’homophobie, la droite a même déployé toute une rhétorique opposant le mariage gay dont le gouvernement socialiste ferait sa priorité, à l’emploi dont il ne se soucierait pas, à grand renfort de slogans du type « La priorité c’est Aulnay, pas le mariage gay »1, « On veut du boulot, pas du mariage homo ». La droite pouvait s’appuyer bien sûr sur le fait que le Parti socialiste se montrait bien incapable d’améliorer les conditions de vie des travailleurs, trop soucieux des intérêts de la bourgeoisie. Mais quelle hypocrisie, de la part d’une droite qui n’avait pas fait mieux, y compris avec Sarkozy qui venait de quitter l’Élysée. Et puis restait à expliquer en quoi accorder le droit de se marier à toutes et tous s’opposait à défendre les emplois. Mais c’est une habitude, quand la droite et l’extrême droite parlent de l’intérêt des travailleurs, c’est pour l’opposer à celui des LGBTI, des femmes ou des migrants.

… et l’extrême droite se renforce

Mais si la droite s’est montrée particulièrement véhémente à cette occasion, c’est surtout pour suivre le mouvement qu’elle sentait dans sa base, celui des manifs contre le mariage homosexuel. Dès novembre 2012, des appels à défiler sont faits par « la manif pour tous », un collectif réunissant notamment des associations catholiques, protestantes et anti-avortement, ou par les catholiques intégristes de Civitas. Moult prêches dans pas mal d’églises ! Ces manifestations vont réussir à mobiliser jusqu’à des centaines de milliers de personnes, dépassant ponctuellement le million selon les organisateurs. Dans la mémoire de beaucoup, le mouvement se résume à ses aspects les plus ridicules, franchement « vieille France », associés aux personnalités de Frigide Barjot ou Christine Boutin en passant par les hommens, torses nus contre le mariage gay (une extrême droite qui déteste les féministes mais s’en inspire !). Mais il y a eu plus grave : des foules de manifestants exprimant souvent avec violence leur rejet des gays et des lesbiennes. Manifs sauvages, caillassages de flics, rassemblements aux cris de « Hollande nazi » ou « Hollande fasciste », alors même que ces manifs abritaient d’authentiques néo-nazis, et même affrontements violents avec les contre-manifestants. Sous le label du « printemps français », en référence éhontée au printemps arabe et au printemps de Prague, l’extrême droite s’est rassemblée et a organisé des actions coup de poing. Des locaux et bars LGBTI ont été tagués voire attaqués, comme à Lille ou à Bordeaux, les gérants ou employés des lieux frappés, mais aussi des journalistes menacés comme Caroline Fourest. Dans ce contexte d’homophobie décomplexée, le nombre d’agressions envers les gays et les lesbiennes, au rang desquelles le passage à tabac de l’animateur télé Wilfred de Brujin et de son compagnon, a significativement augmenté. À titre d’exemple, le nombre de témoignages reçus par SOS homophobie est passé de moins de 2000 avant ces mobilisations à plus de 3500 en 2013, un record, et de loin, depuis que l’association les recense. Et des petits nazillons ont manifesté en marge de cortèges.

Aucune loi n’abolira les oppressions

Alors oui, la loi est passée, ce qui demeure un progrès certain, quoi qu’on pense du mariage et de la famille – institutions éminemment bourgeoises destinée à assurer la transmission de la propriété privée. Dans le mouvement contre le mariage pour tous, l’extrême droite a affûté des armes, s’est formée à l’action et a pu recruter. Civitas a acquis à l’occasion une notoriété permettant à l’association, temporairement, de participer à des élections. D’une manière plus générale le GUD (Groupe union défense), l’Action française, le Bloc identitaire, l’Œuvre française, l’Alliance royale, ou encore le Renouveau français, toute une brochette de catholiques intégristes, de royalistes et de néo-nazis ont profité du mouvement pour se faire connaître et se former aux exactions qu’ils multiplient aujourd’hui, qu’il s’agisse de s’en prendre aux LGBTI, aux migrants ou aux travailleurs en lutte. Si, à l’époque, la mobilisation contre le mariage homosexuel leur a donné des ailes, ces groupes ou leurs héritiers se sentent encouragés aujourd’hui par la montée des partis d’extrême droite, qui d’ailleurs leur reconnaissent quelques qualités de gros bras et les embauchent pour leurs services d’ordre. Quant aux LGBTI, toujours selon les témoignages reçus par SOS homophobie, en moyenne une agression a été commise à leur encontre tous les deux jours, soit 28 % de plus qu’en 2021, une statistique pourtant en dessous de la réalité. Malgré une légalisation tardive du mariage gay et d’autres avancées obtenues par la lutte, la situation des LGBTI reste généralement peu enviable et les choses ne vont pas en s’arrangeant. En France comme dans le reste du monde, le capitalisme s’appuie sur les divisions, les renforce et favorise la montée de l’extrême droite, de ses idées nauséabondes et de ses méthodes meurtrières. Pour les personnes LGBTI comme pour l’ensemble de l’humanité, la perspective est bien d’en finir avec le capitalisme et toutes les monstruosités qu’il charrie.

Marinette Wren, 18 mai 2023

 


 

1 L’usine PSA à Aulnay était alors en train de fermer.