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Interview de l’International Socialist Alternative de Taïwan

Nous publions ci-dessous une interview de camarades de la section taïwanaise d’International Socialist Alternative1 donnant le point de vue de leur organisation, réalisée dans le cadre de l’élection présidentielle. (Cette interview fait partie d’un dossier sur Taïwan publié en mars 2024, retrouver en bas de page le sommaire du dossier)

 

 

NPA : Pouvez-vous présenter votre organisation à nos lecteurs ?

ISA : Tout d’abord merci aux camarades de nous avoir tendu la main. Nous apprécions l’opportunité de présenter la situation à Taïwan aux travailleurs et aux socialistes en France.

Nous sommes la section Chine-Hong-Kong-Taïwan de l’International Socialist Alternative, une organisation internationale marxiste révolutionnaire. Bien que ces trois États présentent des caractéristiques et des politiques différentes, nous constatons la nécessité de construire un parti révolutionnaire ouvrier par-delà des divisions nationales. Ceci est d’autant plus important dans une région où les nuages sombres de la guerre s’accumulent. Nous cherchons à construire des luttes contre la dictature, contre les oppressions racistes et sexistes, contre la catastrophe climatique en s’appuyant sur la force des travailleurs et travailleuses. Toutes ces crises sont inhérentes au capitalisme, il faut reverser ce système par une révolution sociale.

L’année 2022 a connu les plus grandes manifestations en Chine depuis Tian’anmen en 1989. Dans plusieurs villes le slogan « À bas le PCC » a été scandé. Bien que de taille modeste, ces manifestations ont eu un fort écho par leur opposition à la dictature des capitalistes chinois. En Chine, appartenir à une organisation marxiste clandestine est puni de dix ans de prison. Pendant ces manifestations, notre journal clandestin ainsi que notre site internet ont souligné le manque d’une organisation démocratique de masse, de syndicats de travailleurs et d’étudiants indépendants, ainsi que le pouvoir de la grève générale pour mettre à bas des dictatures comme en Corée du Sud et en Afrique du Sud. Pour renverser le régime chauvin han et misogyne du PCC, nous avons besoin de renverser également le capitalisme chinois qui est complètement lié au parti-État

Pouvez-vous expliquer votre position sur les impérialismes chinois et américain depuis Taïwan ?

Le conflit sino-américain est le facteur le plus important des processus mondiaux d’aujourd’hui. C’est une nouvelle guerre froide. Ces deux pays s’affrontent sur le commerce, la technologie, dans une dangereuse course à l’armement. Mais surtout, ils organisent deux blocs mondiaux sous leur domination. Nous devons aussi noter que ces superpuissances impérialistes sont accablées par les crises et le déclin économique, donc c’est une compétition entre celui qui fera tomber l’autre en premier.

La question taïwanaise pourrait devenir l’élément déclencheur d’une guerre entre les États-Unis et la Chine, guerre qui pourrait atteindre des niveaux d’horreur supérieurs à ce qu’il se passe en Ukraine ou à Gaza. Cela étant dit, il est peu probable que la Chine envahisse Taïwan à court terme. En effet, c’est une erreur commune de seulement voir cette question du point de vue chinois. Le point de départ de cette guerre serait que soit les États-Unis soit la Chine craigne que son opposant soit sur le point de contrôler l’intégralité de Taïwan. La guerre aurait pour but d’empêcher l’autre d’obtenir cet avantage. Aujourd’hui, la dictature de Xi Jinping fait face à une profonde crise économique interne, due à l’explosion d’une des plus grandes bulles spéculatives immobilières de l’histoire de l’humanité. Cependant, cela n’exclut pas la possibilité que le régime dictatorial du PCC envahisse Taïwan dans un acte désespéré s’il craint la possibilité d’une révolution en Chine.

La tâche des marxistes doit être de s’opposer à la fois aux impérialismes américain et chinois, et aux capitalistes taïwanais qui utilisent le nationalisme pour étouffer les luttes des travailleurs et renforcer leur propre pouvoir. Pour l’impérialisme chinois, conquérir Taïwan signifierait renverser la table et être capable de devenir la nouvelle puissance hégémonique mondiale. Nous devons lutter pour un programme internationaliste et indépendant de classe. Nous nous opposons à la militarisation de la société impulsée par la frange pro-américaine de la bourgeoisie taïwanaise, qui a notamment allongé la durée du service militaire obligatoire de quatre mois à un an. Pour repousser la menace de la guerre, la classe ouvrière taïwanaise doit renverser la dictature et le capitalisme dans toute la région.

Y a-t-il eu des luttes significatives ou des événements importants pour la lutte de classe récemment ?

Oui, les luttes de masse peuvent avoir un gros impact politique et même géopolitique dans la région. Pour commencer, la domination actuelle du Parti démocratique progressif (PDP) à Taïwan, qui a remporté l’élection présidentielle pour la troisième fois consécutive le 13 janvier, est la conséquence du mouvement des Tournesols de 2014. Ce fut une lutte explosive menée par la jeunesse taïwanaise contre le projet de traité de libre-échange avec le Chine du gouvernement néolibéral du Kuomintang (KMT). Cet événement marqua la majorité de la jeunesse et des travailleurs qui s’identifient désormais comme « taïwanais » plutôt que « chinois ». En tant que marxistes, nous devons défendre le droit à l’autodétermination des peuples, mais devons également expliquer que le nationalisme taïwanais lié à l’impérialisme américain est une impasse.

La répression brutale des manifestations massives à Hong-Kong en 2019 permit au PDP de remporter largement les élections de 2020 en exploitant un sentiment anti-PCC et pro-démocratie compréhensible. En réalité, les capitalistes du PDP se sont contentés de prononcer des paroles creuses, mais ils ont réussi à capitaliser sur la vague de sympathie vis-à-vis des manifestants hongkongais. Ils ont également utilisé cette opportunité pour faire voter des lois anti-ouvrières sous couvert de « sécurité nationale ».

En 2023, il y a eu une hausse du nombre de grèves. Ceci est la conséquence de la hausse continuelle du prix de la vie et la stagnation de salaires. Il y a eu des grèves de livreurs le 1er mai. Le personnel médical a manifesté pour obtenir des augmentations de salaire et des embauches. Les pompiers ont manifesté pour demander l’amélioration de leurs conditions de travail après la mort de l’un de leur collègue dans l’explosion d’une usine chimique. Le syndicat des postiers a obtenu une hausse des salaires après avoir menacé de se mettre en grève. Pendant le nouvel an chinois 2024, les pilotes de la compagnie aérienne Evergreen Airline et le syndicat des travailleurs du rail ont prévu de se mettre en grève.

Nous avons constaté qu’un troisième candidat (Ko Wen-je) est apparu pendant cette élection présidentielle. Sa candidature a mis à mal l’opposition bipartisane entre les candidats du PDP et du KMT. D’après vous, que cela signifie-t-il pour la bourgeoisie taïwanaise ?

Ko Wen-je (du Parti du peuple taïwanais, PPT) a remporté 26,5 % des voix. Il se présente comme un compromis technocratique au système bipartite. Dans la jeunesse en particulier, le soutien au PPT exprime une frustration contre l’incompétence et la corruption des deux partis capitalistes principaux. La raison principale pour laquelle le PDP a perdu des voix (8,2 millions en 2020 contre 5,6 millions en 2024) est la crise liée au coût de la vie qui combine inflation et bas salaires. Le KMT et le PPT ont lancé une campagne similaire contre le PDP pour une « justice sociale en matière de logement », mais leur programme ne comprend aucune mesure répondant à ce problème. Ils tentent de prendre le contrôle de ces colères avant qu’elles ne se développent comme une expression indépendante de la classe ouvrière.

Mais cette « troisième force » est plutôt instable. En ce qui concerne de la relation à avoir avec la Chine, Ko Wen-je a pris un virage à 180 degrés pendant les élections, en passant du slogan « Les deux côtés du détroit de Taïwan sont de la même famille » à la promesse de poursuivre la ligne dure pro-américaine de Tsai Ing-wen. Il y a eu une tentative échouée de la part du camp pro-PCC de réaliser une alliance KMT-PPT pendant les élections afin d’augmenter les chances d’une défaite du PDP. Mais en réalité, les trois partis, et la bourgeoisie taïwanaise, sont tous profondément alignés avec l’impérialisme américain. Aucun parti ne s’oppose à l’augmentation du budget pour l’armement.

Nous avons vu que le gouvernement du PDP a augmenté l’âge de départ de la retraite de 63 à 64 ans sans aucune réaction particulière. En France, nous avons connu l’un des plus gros mouvements sociaux depuis 1995 en raison du même type de réforme. Pouvez-vous expliquer l’absence de réaction par la classe ouvrière taïwanaise ?

Le système de retraite taïwanais a été classé 39e parmi 47 pays d’après un report publié l’année dernière. 70 % des travailleurs retraités reçoivent moins de 580 euros par mois. Comme il n’y pas une tradition du mouvement ouvrier aussi puissante à Taïwan qu’en France, peu de choses ont été gagnées dans le passé à travers les luttes. Mais il y a bien eu quelques manifestations de travailleurs contre la réduction des retraites.

De plus, la grève « politique » est illégale à Taïwan en raison d’une vieille loi datant de la dictature du KMT. Une grève est réputée « politique » si elle revendique des changements dans la politique du gouvernement. Donc même une grève concernant les retraites serait illégale. Également, le nombre minimum d’employés requis dans une entreprise pour imposer la création d’un syndicat est de 30. Sauf que la plupart des travailleurs taïwanais sont employés par des petites structures. La conscience de classe des travailleurs est mise à mal dans cet environnement.

Nous devons comprendre que la classe ouvrière en France est bien mieux organisée qu’à Taïwan. Les vieux syndicats formés pendant la dictature du KMT (pour contrôler les travailleurs) sont toujours liés à ce parti aujourd’hui. Bien que de véritables syndicats soient en train de se former aujourd’hui, la plupart d’entre eux choisissent la forme associative, sans structure de syndicat, et se concentrent sur le lobbying auprès des députés des trois partis. Le concept de base de la mobilisation de masse à travers des discussions démocratiques est rare. Nous soutenons les manifestations des travailleurs et devons lutter pour construire une véritable tradition du mouvement ouvrier à Taïwan.

Traduction réalisée par Pierrot Frey

 

 


 

 

Sommaire du dossier

 

 


 

 

1 Il est possible de retrouver le site web du parti ici https://isataiwan.org/ en chinois ou ici https://chinaworker.info/en/ en anglais.