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Iran : tuer des petites filles n’arrêtera pas la chute du régime

La commission du Parlement (Majlis) de la République islamique d’Iran ne peut plus le cacher. Des centaines de jeunes filles ont été intoxiquées au gaz dans leurs établissements scolaires depuis novembre 2022, deux mois après le début de la révolte qui traverse le pays. Ces actes coordonnés à l’échelle du pays ne peuvent se faire sans la tolérance des services de sécurité et marquent un cran supplémentaire dans la répression. Si Human Rights Watch fait état de 14 000 arrestations, 50 exécutions capitales et 571 tués, le piratage des services de sécurité par des militants a permis l’ouverture de dossiers attestant plus de 30 000 arrestations, exécutions sommaires, condamnations à mort, tortures et viols systématiques. Cette brutalité a fortement ralenti la contestation sans toutefois l’éteindre. La semaine dernière, le Baloutchistan, province du sud-est de l’Iran, a encore connu des manifestations importantes, et plusieurs entreprises (sidérurgie à Ispahan) et secteurs (enseignants à Chiraz) ont connu ces deux dernières semaines des débrayages pour les salaires, la libération de collègues emprisonnés dans les actions précédentes. L’activité souterraine dans les entreprises, les quartiers et les universités se poursuit dans ce climat de terreur politique et d’effondrement social (40 % d’inflation, la monnaie s’effondre, un kilo de viande équivaut à un salaire mensuel moyen)1. Il fallait pour les durs de la dictature de Téhéran passer un cap pour marquer les consciences.

Derrière ces attentats, une lutte au cœur du régime

Téhéran, Ardabil, Kermanshah, Ispahan ont été touchées par ces attaques initiées en novembre dans la ville sainte de Qom2. Plusieurs substances faciles à trouver dans le commerce ont été utilisées pour fabriquer ces gaz, la plupart à base de dérivés azotés mais aussi de javel. La composition des gaz n’a pas été identifiée mais leur importante capacité de diffusion dans des espaces ouverts et la répétition à grande échelle laisse deviner une logistique professionnelle. Des écoles de fillettes ont été touchées ainsi que des dortoirs d’université, plus de 400 jeunes écolières ont été intoxiquées dans la seule ville de Baroudjed dans l’ouest du pays. Lors d’une session parlementaire le 6 mars, le député Mohamad Hassan Asfari a estimé à près de 5000 jeunes scolarisées les victimes d’attaques, dans 25 provinces sur 31, dans 230 établissements scolaires3. Dans un pays où le consensus est écrasant pour permettre l’éducation des filles, ces attentats ont provoqué d’importantes réactions, non seulement des familles mais aussi des enseignants, des habitants des quartiers. L’ampleur du drame et les images de parents d’élèves frappés, de mères tirées par les cheveux par les miliciens du régime ont beaucoup circulé sur les fils Telegram clandestins au point de susciter une réaction bruyante du président Raïssi le 1er mars, demandant une commission d’enquête, puis le 6 mars, du guide suprême lui-même. Ces dissensions entre durs et modérés du régime sont mises en scène et ne trompent personne. Néanmoins, elles traduisent des tensions entre fractions du régime. Les pasdarans (gardiens de la révolution ou plutôt gardiens du régime), véritable État dans l’État vivant comme une caste en contrôlant une part des importations et exportations du pays, garant de la sécurité du régime et de sa politique internationale, a beaucoup à perdre si des aménagements sont nécessaires pour sauver la République islamique. La bourgeoisie qui profite des échanges internationaux et les secteurs liés à l’économie étatisée sont sous pression et sollicitent des solutions pour stabiliser la situation à une présidence contestée, un parlement discrédité et, bien sûr, le guide suprême, désormais sur le point de rejoindre son Créateur. Mais cette façade légale est fragile, la succession du guide est complexe, et l’unanimité institutionnelle habituelle est devenu un lointain souvenir.

Les protestations s’organisent

Avec des difficultés extrêmes, la riposte s’organise néanmoins. Voici un document qui circule sur les boucles Telegram en Iran. C’est une déclaration d’une organisation lycéenne, restreinte dans ses effectifs, mais avec une audience importante, et qui scande avec ses appels un part conséquente des activités politique de la jeunesse scolarisée de la capitale.

« Annonce de l’organisation des lycéens révolutionnaires – Téhéran,

Répondre à l’attaque chimique et à l’empoisonnement intentionnel et en série des lycéens par des manifestations et des grèves à l’échelle nationale

Nous présentons nos condoléances à la famille et à l’entourage de Fatemeh Rezaei4, ainsi que notre sympathie aux lycéens blessés et à leurs familles.

Nous, ainsi qu’une grande partie de la société civile, pensons que ce récent crime terroriste de la République islamique dans les universités et les écoles, pour la plupart les écoles de filles, des villes de Qom, Téhéran et plusieurs autres villes, n’a d’autre objectif que de semer la terreur parmi les révolutionnaires et en particulier les lycéens et les étudiants qui ont été parmi les principales forces motrices de la révolution « femme, vie, liberté ». Son but est de se venger, de contenir et d’arrêter le mouvement militant des lycéens et des étudiantes, dirigé en grande partie par des braves, femmes et filles révolutionnaires.

Ces actes terroristes et ces attaques chimiques contre les lycées et les dortoirs d’étudiants sont une vengeance des fanatiques contre les lycéens révolutionnaires et pour contrôler et contenir leurs mouvements, qui ont joué un rôle important dans la résistance et la lutte contre le régime terroriste de la République islamique pendant la révolution actuelle.

Nous, les lycéens de l’Organisation des lycéens révolutionnaires, déclarons :

Ce crime planifié doit être immédiatement arrêté et toutes les personnes et organisations qui y sont impliquées doivent être présentées à la société et inscrites sur la liste des criminels poursuivis.
Jusqu’à ce que nous atteignions un environnement sûr dans les écoles, nous, les lycéens et nos familles, continuerons notre protestation au lieu d’aller à l’école et nous demandons aux enseignants de nous soutenir par une grève nationale. Nous considérons l’appel national du mardi 7 mars des enseignants comme une étape positive à cet égard.

Nous voulons que le mouvement étudiant soit avec nous et nos familles, et proteste et fasse grève contre ces attaques chimiques criminelles et l’empoisonnement en série et délibéré des lycéens.

Nous, les différentes parties du peuple sous oppression et sous privation, avons été ensemble au cours des cinq derniers mois de la révolution « femme, vie, liberté » et notre action coordonnée, notre lutte organisée et nationale a rapproché pas à pas le renversement de la République islamique. Aussi, dans ces circonstances difficiles, il faut être ensemble et nous voulons que les différentes composantes de la société nous soutiennent.

Nous sommes au seuil de la Journée internationale de la femme et nous déclarons une fois de plus que la racine de l’insécurité actuelle et des problèmes de notre société est le gouvernement islamique totalitaire, tueur d’enfants et misogyne. Nous devons résoudre ces problèmes une fois pour toutes en faisant avancer notre révolution et en organisant des manifestations et des grèves à l’échelle nationale, afin de renverser la République islamique. Nous voulons marcher à l’échelle nationale à côté des enseignants le mardi 7 mars, et le mercredi 8 mars, Journée internationale des femmes et, suite à l’appel de 52 organisations, nous participerons à des manifestations dans les rues et les principaux places des villes à partir de 18 heures. L’un des axes de notre protestation à l’occasion de la Journée internationale des femmes sera l’attaque chimique criminelle du gouvernement islamique contre les lycéens. Une fois de plus, nous déclarons que ce gouvernement tueur d’enfants doit disparaitre.

Organisation des lycéens révolutionnaires – Téhéran

Jeudi 2 mars 2023

Chaîne Telegram de l’Organisation des lycéens révolutionnaires de Téhéran »

La terreur gagne du temps, mais comme le disent les murs des grandes villes d’Iran : « Ils peuvent couper toutes les fleurs, ils ne peuvent empêcher le retour du printemps ! »

Le nouvel an persan (et kurde), Norouz, se fête le 20 mars, beaucoup d’initiatives en Iran et à l’étranger se préparent pour organiser et continuer ce printemps social commencé en septembre. Et les plus anciens s’en souviennent, il a fallu une année entière pour faire tomber le shah et sa dictature en 1979.

Tristan Katz

 


Notes

1 Un homme politique iranien de premier plan a déclaré à la fin de l’année 2022, que « 70 % de la population était sous le seuil de pauvreté ».

2 Sur le média Qom News le 14 février, Nafiseh Moradi, chercheuse en études islamiques à l’université Al-Zahra de Téhéran, a émis l’hypothèse que l’interdiction par les talibans de l’éducation des filles aurait pu inciter les ultra-religieux de Qom à mener des attaques contre des écoles pour filles pour instiller la peur chez les élèves et leurs familles dans le but de les garder à la maison. Le site Web a ensuite été bloqué par les autorités pour avoir publié cette hypothèse.

3 Il ne faudrait pas s’imaginer une certaine transparence. Le parquet de Téhéran vient de lancer des procédures cette semaine contre trois quotidiens qui avaient mené des enquêtes sur les empoisonnements ainsi que contre des personnalités qui avaient demandé des comptes au régime.

4 L’agence de presse officielle Irna a fait une interview du père de la victime, dénonçant « les activités anti-révolutionnaires ». Mais ce message sans doute obtenu sous la contrainte n’a convaincu personne.