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Israël : des manifestations toujours aussi massives… mais toujours aussi ambiguës

La mobilisation ne faiblit pas en Israël où quelque 250 000 personnes ont défilé le 4 mars dans plusieurs villes du pays, pour la neuvième semaine consécutive, contre les projets de réforme du gouvernement. Ce qui, au prorata de la population, représenterait environ 1,7 million de personnes en France. Ces manifestations se répètent sans interruption depuis fin décembre et la formation du gouvernement d’extrême droite présidé par Benyamin Netanyahou.

La grande masse des manifestants est formée d’un public mélangé, regroupant pêle-mêle juifs laïcs et religieux modérés, qu’inquiètent les réformes projetées sur l’équilibre des pouvoirs, la mise au pas des juges et de la Cour suprême, mais aussi leur impact sur la vie quotidienne dans des domaines comme le mariage, les droits des LGBT, l’éducation, voire la santé.

Palestiniens et Arabes israéliens, les grands oubliés

Par contre rien (ou presque), dans les slogans ou les banderoles, sur les droits des Arabes israéliens, la répression accrue et les confiscations de terres en Palestine occupée, la destruction des maisons, des puits, des véhicules, le saccage des vergers, le vol des troupeaux par les colons, etc. Un des reproches le plus couramment adressé à Netanyahou et à sa clique de réactionnaires de tout poil par ceux qui appellent à manifester est que par « leurs outrances » ils risquent de compromettre les bonnes relations que l’État sioniste entretient d’abord avec l’impérialisme américain, ensuite avec les États arabes – avec lesquels ces dernières années Israël a établi des relations diplomatiques – et enfin avec l’Union européenne. Il faut dire que les uns et les autres continuent de faire l’autruche face à l’apartheid dont souffre le peuple arabe de Palestine en remettant aux calendes grecques la fameuse solution à deux États (juif et palestinien) coexistant côte à côte, une idée avancée dans les accords d’Oslo de 1993 et qui aujourd’hui a du plomb dans l’aile, la colonisation israélienne systématique de la Cisjordanie l’ayant vidée de tout contenu et l’ayant rendue illusoire.

Lapid au secours… de l’armée

Un exemple marquant de cette attitude vient d’être donné par le leader de l’opposition, Yaïr Lapid, le prédécesseur de Netanyahou au gouvernement, qui a pris la parole à plusieurs reprises dans ces manifestations. Il vient en effet de se déclarer publiquement hostile aux récentes menaces des membres des forces de réserve de l’armée de ne pas se présenter à leur poste en signe de protestation contre la politique du gouvernement, alors que l’objection de conscience gagne du terrain parmi les jeunes appelés. Selon lui, de tels mouvements nuiraient aux capacités opérationnelles de l’armée, qui, rappelons-le, déploie 46 divisions, soit 80 % de sa force militaire totale, en Cisjordanie.

Évidemment, il n’y a là rien d’étonnant de la part d’un politicien qui était aux affaires il y a un peu plus d’un an, en février 2022, lorsque cette même armée avait mené l’opération « Briser la vague » qui s’était soldée par un total de 139 Palestiniens tués et des milliers de blessés, tandis que des dizaines de maisons avaient été détruites.

Nombre de manifestants, dont beaucoup brandissent des drapeaux israéliens, sont en phase avec lui. Ce qui explique sans doute, a contrario, le peu de présence des Arabes israéliens dans la foule qui a même parfois pris à partie des pacifistes israéliens présents avec des drapeaux palestiniens.

Une gauche sioniste aux abonnés absents

Quant à la gauche sioniste et laïque – représentée principalement par les travaillistes d’Avoda et les militants du petit parti socialiste Meretz – ses militants participent aux mobilisations mais sans tenter de les orienter. Il faut dire que cette gauche sioniste est devenue quasiment inaudible après s’être compromise des années durant en gouvernant avec la droite et le centre et surtout avalisant, peu ou prou, la colonisation, en l’ayant même encouragée à l’époque où les travaillistes dominaient largement le Parlement, l’état-major militaire et le gouvernement.

Aujourd’hui dans l’opposition, elle se raccroche elle aussi à la solution des deux États tout en condamnant, au coup par coup, les exactions les plus sanglantes des colons et de l’armée.

Un mouvement pacifiste actif et solide

En fait l’opposition la plus visible (même si elle reste très minoritaire) à l’action du gouvernement provient largement des organisations du mouvement pacifiste. Il en existe plus d’une vingtaine.

Une des principales est le Centre d’information pour les droits humains dans les territoires occupés (B’Tselem). Formé de Juifs et Arabes, le Centre tient à jour méthodiquement le décompte des méfaits israéliens, les rend publics et participe sur le terrain à la solidarité active avec les Palestiniens. Ses membres se font régulièrement arrêter par la police et par l’armée et se retrouvent souvent en prison.

Il faut aussi dire un mot des partisans israéliens du mouvement international Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) qui vise à mettre en difficulté à l’étranger l’économie israélienne par des actions non-violentes. L’un de ses membres les plus en vue est l’écrivain et journaliste Miko Peled, qui, il y a maintenant plus de dix ans, s’attaquait déjà au concept même de l’État juif en préconisant un État commun aux Juifs et aux Palestiniens. Il écrivait en juin 2012 dans le quotidien américain Los Angeles Times : « Israël fait face à deux options : soit continuer à exister en tant qu’État juif en maintenant son contrôle sur les Palestiniens par le biais de la force armée et de lois racistes, soit entreprendre une transformation profonde afin de devenir une démocratie réelle où Israéliens et Palestiniens vivront sur un pied d’égalité dans un État et une patrie partagés. Pour les Israéliens, tout comme pour les Palestiniens, ce chemin mène vers avenir radieux. » Une perspective d’un État unique et démocratique (nous ajouterions socialiste) s’étendant de la Méditerranée au Jourdan mais qui, malheureusement, reste très minoritaire aujourd’hui au sein des populations israélienne et palestinienne.

Plaçons aussi dans cette mouvance le quotidien de gauche Haaretz (Le Pays) qui a été un des premiers médias locaux à utiliser les mots « racisme » et « apartheid » pour caractériser la domination israélienne en Cisjordanie occupée et qui, inlassablement, dénonce les exactions des colons et de l’armée sous la plume notamment d’un de ses journalistes vétérans, Gideon Levy.

Pour conclure, signalons une initiative inhabituelle, celle du travailliste Yaya Fink, qui dirige l’ONG Israel Shelanou (« Notre Israël »). Suite au saccage de la ville palestinienne d’Huwara par des colons juifs le 26 février dernier et l’appui que ces derniers avaient reçu du ministre Bezalel Smotrich, Fink a lancé une collecte de fonds en ligne pour indemniser les Palestiniens lésés par cette expédition punitive. En quelques jours il a recueilli 460 000 euros ainsi que moult insultes et menaces de mort. Cela est symptomatique du climat qui règne dans le pays.

Une résistance palestinienne toujours solide

Si, depuis plus d’un an, les opérations militaires israéliennes se multiplient en Cisjordanie dans le but de terroriser la population palestinienne et de démanteler les groupes armés, les observateurs s’accordent à dire qu’elles ont été incapables d’atteindre leurs objectifs. On assiste à une mobilisation croissante de la population – qui n’hésite plus à descendre dans la rue en réponse à chaque exaction commise par l’armée et les colons – mais également à la multiplication des groupes armés. Longtemps confinés à Jénine, ces groupes sont désormais présents à Naplouse, à Jéricho, à Jab’a, à Tulkarem et ailleurs.

Cette résistance est pour l’instant la seule à être en mesure de freiner la politique expansionniste du gouvernement israélien. Mais cela ne se fera qu’au prix de nouveaux massacres, de nouvelles destructions et de nouveaux morts, Palestiniens bien sûr, mais aussi Israéliens. Car ces derniers sont pieds et poings liés à la politique de leurs dirigeants, même lorsqu’ils ne la cautionnent pas.

Ce qui rend toujours d’actualité la vieille formule de Marx : « Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre. »

Jean Liévin