Nouveau Parti anticapitaliste

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La gauche et la réforme des retraites : une guerre en paroles

Minuit sonnait vendredi 17 février au palais Bourbon, quand le ministre du Travail, Olivier Dussopt, annonça la fin des débats sur la réforme des retraites. On n’en était encore qu’aux tout premiers articles mais pas question de jouer les prolongations. Ambiance quand même : « On est là, on est là, même si Macron ne veut pas… » monte des bancs de la FI. La Marseillaise, à l’unisson, est entonnée par la coalition gouvernementale, LR, le RN et quelques autres dont le petit groupe dit LIOT (Liberté, indépendant, Outre-mer et territoire, dont l’un des leaders avait eu son heure de gloire, le 6 février, en déposant, cosignée par tous les groupes de la Nupes, une dernière « motion référendaire »… rejetée).
C’était la dernière séquence,
C’était la dernière séance,
Et le rideau sur l’écran est tombé…

C’est pas à Matignon ni au palais Bourbon…

Mais la polémique à gauche continuait. Le surlendemain, dimanche 19 février, Philippe Martinez s’indignait contre Mélenchon, reprenant à son compte les critiques du PS, des écologistes et surtout celles de Laurent Berger, son homologue de la CFDT : « Ce qui a été fait à l’Assemblée nationale et le fait de ne pas aller à l’article 7 […] c’est un problème […] Quand il [Jean-Luc Mélenchon] fait les choses comme cela, non. Il ne favorise pas la clarté des débats, la clarté des positions, et cela perturbe effectivement un certain nombre de salariés que l’on croise qui se demandent ce qui se passe. »

La « clarté des débats » ? Au Parlement, on a rarement vu autre chose que des duels à fleurets mouchetés, des coups tordus, des jeux d’alliances sans principes ou des couardises selon les cas. Des coups de gueule aussi, dont le débat sur les retraites n’a pas manqué. Le fait de n’être pas allé jusqu’à ce fameux article 7, qui prévoit de porter l’âge légal de départ à 64 ans, arrangeait bien du monde : Macron qui n’était pas sûr de trouver une majorité (par un vote suffisant de députés LR) ; une bonne partie de la droite et du centre dont les députés n’avaient pas envie de compromettre leur popularité et leur réélection par un vote impopulaire. Et n’oublions pas que la procédure accélérée prévue par Macron et Borne, était précisément destinée à se passer de vote : discuté jusqu’au bout ou pas, voté ou pas au terme des vingt jours fixés pour le débat, le projet de loi passait du palais Bourbon au Sénat, où la droite est plus joufflue. Puis navette, avec de toute façon le 49.3 à disposition si ça ne marchait pas.

La France insoumise : tonitruante mais respectueuse des intérêts patronaux

Les cris d’orfraie d’un Darmanin accusant la FI de chercher à « bordéliser » l’Assemblée visaient à faire passer le gouvernement pour une victime du « gauchisme-paresse-bobo ». Si les socialistes, les écologistes, voire le PCF lui ont de fait emboité le pas, d’abord pour demander à la FI de retirer une bonne partie de ses amendements, ensuite pour l’accuser d’avoir fait échouer la bataille parlementaire, c’est surtout pour se poser comme opposants « responsables » face à Macron et à la bourgeoisie, et tenter de marquer quelques points contre une FI « obstructionniste » avec laquelle ils avaient bien dû s’allier pour sauver leurs postes de députés aux dernières législatives.

De son côté la FI a surtout fait de l’esbroufe. À quoi bon poser 20 000 amendements pour une loi ni acceptable ni amendable ? Le spectacle parlementaire a eu ses moments chauds : un député FI suspendu pendant 15 jours pour avoir shooté dans un ballon peint à l’effigie du ministre du Travail ; un autre obligé de s’excuser pour avoir traité d’assassin ce même ministre – qui certes veut faire crever les travailleurs au boulot. Nous n’allons pas nous offusquer de ces « obstructions » ralentissant les débats, ou de ces coups d’éclats mélenchonistes. Mais les décibels des interventions des Insoumis et Insoumises tenaient plus de la démagogie que de la subversion.

Le programme du groupe des parlementaires FI, intitulé Une autre réforme des retraites est possible, exprime un grand respect pour le fonctionnement capitaliste de la société et les intérêts patronaux. Mélenchon s’est excusé au début février sur BFM-TV d’en rester au retour à 40 annuités de cotisation et non aux 37,5 antérieurs pour une retraite complète : puisque la Nupes l’avait choisi comme Premier ministre potentiel, il se devait de défendre ce programme commun. Quant à faire payer les riches pour financer une réforme dite de gauche, ledit programme y va mollo : on pourrait prendre sur les « niches sociales » que sont les exonérations de charges patronales. Sans exagérer non plus : « Nous pourrions supprimer les plus inutiles d’entre elles comme l’allègement de cotisations sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic », est-il précisé. Cela permettrait de récupérer 10 milliards sur un total de 90 milliards des cadeaux aux patrons que représentent ces niches sociales. Et pourquoi n’est-il pas proposé de supprimer les exonérations partielles ou totales dont bénéficient les patrons sur les plus bas salaires qui, sous prétexte de lutte contre le chômage, les incitent en réalité à ne payer qu’au Smic ? Question !

Plutôt un front syndical, mais pour aller où ? Un « mouvement maîtrisé, digne et respectueux » ?

Du côté du PCF, Fabien Roussel – pour lequel la mère des batailles contre Macron serait un référendum (« six mois de campagne » pour réunir les signatures, précisait-il, et quelques mois de procédures au succès bien hypothétique pour l’obtenir), a lui aussi fustigé la tactique parlementaire des insoumis. Fabien Roussel aurait sa recette : « Le sujet du moment c’est [dit-il] comment on s’inspire de cette intersyndicale composée de syndicats très différents et qui arrive à parler d’une même voix, à être unie, sans avoir à créer une Nupes des syndicats. […] Je pense que la gauche devrait s’en inspirer. »

Unité syndicale, le mariage Berger-Martinez, tel serait le secret. Pour le meilleur ou pour le pire ? On peut se poser la question quand on entend Laurent Berger, dont Martinez tient jusque-là à ne pas se démarquer, expliquer que les manifestations du 7 mars prochain ne doivent surtout pas être « la prolongation du bordel qui s’est passé à l’Assemblée nationale, dans les rues » mais « la poursuite du mouvement syndical, orchestré et maîtrisé par les organisations syndicales ». Et il précise : « On appelle à mettre le pays à l’arrêt, ce qui est différent d’un blocage. Le 7 mars il faut une mobilisation digne et respectueuse, mais qui monte d’un cran. » Juste monter d’un cran, mais quel cran ? Surtout ne pas bloquer le pays par une grève qui se prolongerait au-delà du 7 mars et se généraliserait ?

L’insistance des leaders de la Nupes, hors FI, à faire de l’article 7 le seul et l’unique qu’il faudrait combattre, est à vrai dire bien discutable. Bien sûr Macron fait du départ à 64 ans, c’est-à-dire des deux ans de plus qu’il veut infliger aux travailleurs (avec baisse des pensions correspondante), son cheval de bataille. Mais 64 ans ou pas, ce sera pour beaucoup et de toute façon l’âge minimum de départ, s’il faut 43 annuités pour avoir droit à une pension dite complète (déjà bien inférieure au salaire). Et pour beaucoup qui voudront éviter la décote, ce sera même 67 ans ! Qui, à la Nupes, alerte clairement sur cette embrouille ?

Les partisans d’une « vraie réforme à gauche »…

Quant aux socialistes « maintenus », qui ne se sont pas associés à la Nupes, ils claironnent dans une tribune du journal Le Monde du 20 février : « Une vraie réforme à gauche est possible » (signée du premier secrétaire délégué du PS, Nicolas Mayer-Rossignol, le concurrent du premier secrétaire en titre, Olivier Faure). Le projet de Borne et Macron est injuste, jurent-ils, mais… il va falloir « s’adapter parce que l’espérance de vie augmente, que notre rapport au travail évolue, que nos finances sont fragiles ». En clair, il va bien falloir bosser plus longtemps. Ils précisent : « Avec honnêteté : si nous accédions au pouvoir, ferions-nous vraiment les 60 ans, 40 annuités de cotisation pour tous ? Voilà moins un horizon qu’une illusion. Son coût exorbitant priverait l’État de moyens vitaux pour d’autres politiques publiques : santé, éducation. » Bref, leurs arguments sont les mensonges de Macron ! La socialiste Marisol Touraine, sous la présidence de Hollande, avait déjà décidé un allongement progressif de la durée de cotisation pour la porter à 43 ans d’ici 2035. Macron se contente de l’accélérer pour y arriver en 2027.

Salaires, retraite, chômage… oui, la colère va devoir bousculer les agendas

La colère qui s’exprime aujourd’hui dans tout le pays n’est pas seulement braquée contre l’attaque sur les retraites. Cette réforme de Macron est la cible parce qu’elle est le symbole d’une politique d’enrichissement des patrons et actionnaires sur le dos des travailleurs. Dans une situation où, face à l’inflation, beaucoup luttent pour survivre. Mais elle s’ajoute à la colère contre les prix en hausse et les salaires en baisse. Nombre de grèves se sont multipliées ces derniers mois pour des augmentations de salaire, dont aucun des leaders de la gauche ne parle vraiment, ni aucun des chefs syndicaux n’œuvre à leur convergence.

Alors il va falloir un mouvement qui ne soit pas « maitrisé », contrairement à ce que dit Laurent Berger, c’est-à-dire corseté par les directions syndicales. Il va falloir un peu de « bordel » mis par des millions de travailleurs qui ont la rage. Le 7 mars ne pourra pas en rester à une grève « carrée », un simple baroud d’honneur, il devra être un début de grève générale. N’en déplaise à Laurent Berger et à ses nombreux adeptes dans une gauche soumise – toutes tendances confondues – aux intérêts du patronat.

Olivier Belin, le 22 février 2023