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La syndicaliste, film de Jean-Paul Salomé

Un formidable thriller, magnifiquement mis en scène, sur un scandale d’État datant de 2012, toujours pas élucidé… quand la réalité dépasse la fiction. Le cinéaste, Jean-Paul Salomé, s’est inspiré du livre d’enquête du même titre, de Caroline Michel-Aguirre, journaliste à L’Obs1.

Le film : 2011, Maureen K. croit en la collaboration de classe. Déléguée syndicale CFDT chez Areva, elle oscille entre Anne Lauvergeon, surnommée « atomic Anne » la sulfureuse PDG d’Areva (à l’époque fleuron du nucléaire français) et ses collègues de travail dont elle fait le maximum pour défendre les intérêts. Le film s’ouvre sur une scène révélatrice des positions de Maureen K. : la militante s’est déplacée en Hongrie pour défendre des ouvrières licenciées. L’axe de Maureen n’est pas de défendre les emplois, mais d’obtenir un vrai plan social avec des formations adaptées pour les ouvrières. Qu’elle n’hésitera pas à réclamer directement à la PDG et qu’elle obtiendra.

En parallèle, la militante s’est engagée en politique. Encartée au Parti socialiste, elle côtoie des dirigeants de l’époque tels qu’Arnaud Montebourg ou François Hollande. Mais un jour sa vie bascule quand elle reçoit des documents confidentiels d’un accord entre EDF, Areva et la CGNPC, la filière chinoise du nucléaire. L’accord menacerait des milliers d’emplois. La déléguée va interpeller la PDG, les députés, les ministres, et tenter de remuer ciel et terre pour obtenir des réponses sur les tenants et aboutissants de cet accord. Sauf qu’elle dérange et que la bourgeoisie n’aime pas qu’on lève le voile sur les méthodes de barbouzes de ses différents clans rivaux.

Maureen K. va commencer à recevoir des menaces. Jusqu’au jour, en décembre 2012, où elle est agressée, ligotée, violée avec un manche de couteau et le ventre scarifié, à son domicile. Ce jour-là, sa vie bascule. L’enquête va être menée à charge… contre elle ! Soutenue par sa famille, ses collègues et ses camarades du syndicat, la militante, lâchée par les politiciens qui préfèrent regarder ailleurs, va devoir se battre face à un appareil judiciaire qui fera tout pour la broyer. Très vite, les enquêteurs abandonnent la piste des agresseurs pour déclarer la victime coupable d’avoir inventé son agression.

Le film raconte l’histoire d’une femme combative, sincère et coriace dans le bon sens du terme, magnifiquement interprétée par Isabelle Huppert. Survolant la dimension syndicale de cette histoire (on voit moins dans le film le rôle de ses collègues et de ses camarades de la CFDT qui l’ont soutenue), le réalisateur choisit de faire le procès de l’hypocrisie judiciaire en quête de « bonnes victimes », tout en transformant en coupables celles qui ne respectent pas les codes sexistes. Car Maureen est une victime qui dérange les enquêteurs : elle ne pleure pas, reste stoïque et ne compte pas se laisser abattre si facilement. Pour les enquêteurs, puis l’avocat général au procès, il est évident qu’une victime de viol ne peut pas avoir cette attitude, elle est donc forcément une menteuse.

C’était en 2012. L’enquête contre les agresseurs fut close en février 2013… mais une autre immédiatement engagée contre Maureen pour « dénonciation mensongère ». Elle fut déclarée coupable en 2017… Un temps fracassée, Maureen retrouva toute son énergie pour intenter un procès en appel, qui l’innocentera l’année suivante. Cela dit, à ce jour, il n’y a toujours pas d’enquête contre ses agresseurs…

Ce film est aussi l’occasion de discuter de la politique de cogestion et de collaboration de classe à laquelle croyait Maureen K. Si elle avait ses entrées dans les salons de Matignon, elle finira par être lâchée par tout ce monde politicien. Ce film est aussi une belle histoire d’amour avec son conjoint, malgré l’adversité.

La sortie du film en février fait événement. Maureen, comme l’autrice du livre l’explique dans un article de L’Obs du 28 février, « court les avant-premières du film […] qui retrace son histoire. »2

Ghislaine Thomas


 

1 La syndicaliste, Stock, 2019, réédité en poche en février 2023, 8,40 €, par Caroline Michel-Aguirre, responsable du service investigation de L’Obs. Extrait de la quatrième de couverture : « Maureen Kearney, syndicaliste d’Areva, défend les intérêts du fleuron du nucléaire français. Proche d’Anne Lauvergeon, elle fréquente les ministres et les capitaines d’industrie. Lorsqu’elle apprend que l’ennemi juré d’Areva, EDF, est prêt à signer un contrat avec les Chinois qui pourrait entraîner un transfert de technologies, elle monte au créneau, alerte les politiques. Le 17 décembre, elle est retrouvée chez elle ligotée et violée. Une enquête est lancée par la gendarmerie. Alors tout bascule. »

2 À lire, l’article très éclairant de Caroline Michel-Aguirre (l’autrice du livre La syndicaliste), dans le numéro de fin février de L’Obs, intitulé : « Agression de Maureen Kearney, La Syndicaliste d’Areva : une nouvelle victime sort du silence ». Extrait : « L’histoire d’une lanceuse d’alerte salariée du groupe nucléaire Areva, retrouvée ligotée, violée et scarifiée – un « A » gravé sur le ventre à son domicile, le 17 décembre 2012, mais accusée par la justice d’avoir elle-même mis en scène son agression. Après chaque projection, quand les lumières se rallument, le regard médusé des spectateurs : la « vraie » syndicaliste ressemble à s’y méprendre à son personnage joué à l’écran par Isabelle Huppert. »