Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

L’agriculture bretonne, laboratoire de l’industrialisation de l’agriculture

À lire : Silence dans les champs, de Nicolas Legendre

Nicolas Legendre1, fils de paysans bretons devenu journaliste et auteur de documentaires, a essayé de comprendre comment la Bretagne des années 1960 est devenue le premier territoire agricole de France, donnant naissance à l’agro-industrie. Après sept ans d’enquête, en s’appuyant sur près de 300 témoignages, il montre comment la plupart des agriculteurs se sont fait piéger : par l’agrandissement, par toujours plus d’investissements pour se moderniser, encouragés par l’État (prêts bonifiés, défiscalisation), par les chambres d’agriculture et les coopératives (qui vendent les aliments pour le bétail ou achètent leur production), par les fabricants d’équipements agricoles et les banques (Crédit agricole).

Et quand certains paysans veulent échapper à ce piège, l’enquête montre comment des pressions insidieuses et les portes qui se ferment, poussent à courber l’échine et au silence, à continuer à travailler pour rembourser ses dettes, jusqu’à l’épuisement… jusqu’au suicide2. Et ceux, paysans, élus, associations écologistes ou journalistes qui dénoncent les mécanismes de cette agriculture productiviste sont menacés (comme Morgane Large, journaliste de Radio Kriez Breizh) : coups de fils nocturnes, chien intoxiqué, boulons d’une roue de sa voiture dévissés…)

Témoignage d’un éleveur de porcs dans les Côtes-d’Armor :

« J’en suis à 100 % d’endettement. La coopérative paie mal, et c’est à l’éleveur de trouver les moyens de subsister. Dans le même temps, les dirigeants se font mousser en achetant des filiales un peu partout… On nous dit : “Vous n’êtes pas contents ? Allez bloquer les supermarchés !” »

C’est à ce prix que la Bretagne est devenue une des principales régions productrice d’Europe, en viande, lait et légumes. Les grossistes, les entreprises de transformation, de transport et la grande distribution se sont développés, toujours dans la course à la compétitivité, donc au profit, pour conquérir de nouveaux marchés locaux et mondiaux.

Ce cercle se dit « vertueux » pour les firmes transnationales, les notables locaux et les politiciens qui le contrôlent. Mais il est mortifère pour la majorité des agriculteurs qui sont piégés par l’endettement, pour les salariés dont le gagne-pain dépend de tout cet édifice économique, et enfin pour les consommateurs et la population également victimes de la pollution de l’environnement3 qu’il induit et qu’on retrouve dans notre alimentation. Ce mode agricole capitaliste est une impasse !

E.M.

 


 

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1 Silence dans les champs, Nicolas Legendre, Arthaud, 2023, 352 p., 20 €.

2 529 suicides ont été dénombrés en 2016.

3 Algues vertes, l’histoire interdite, Inès Léraud, BD, 2020.