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Le Pen et Bardella au Havre le 1er mai : c’est dégueulasse !

Depuis plusieurs semaines, le Rassemblement national (RN) a annoncé qu’il célébrerait sa « Fête de la nation » au Havre, en invitant à un banquet un millier de militants du parti de l’ensemble du pays au Carré des Docks, lieu abritant ordinairement dans la cité portuaire des manifestations culturelles ou des concerts de célébrités. Marine Le Pen et Jordan Bardella veulent ainsi renouer avec le grand raout du 1er mai cher à Jean-Marie Le Pen qui a réuni pendant 25 ans ses troupes à Paris sous la statue dorée de Jeanne d’Arc située rue de Rivoli. En 1995, un événement tragique avait marqué le défilé : la mort du jeune Brahim Bouarram, poussé dans la Seine par un skinhead participant à la manifestation.

« Fête de la nation » versus « Journée internationale des travailleurs »

La conjonction des deux événements ne doit rien au hasard. De 1979 à 1988, le Front national de Jean-Marie Le Pen a d’abord rendu hommage à Jeanne d’Arc le… 8 mai ! Il s’inscrivait ainsi dans les pas des courants nationalistes, réactionnaires et royalistes (notamment l’Action française) qui à la fin du 19e siècle trouvaient que le 14 juillet sentait trop le peuple et la révolte et voulaient instaurer une deuxième fête nationale. C’est le dimanche suivant, le 8 mai, qui fut choisi, jour de la libération d’Orléans par Jeanne d’Arc en 1429. En 1920, sous la IIIe République, dans le contexte cocardier de l’après-guerre, est instituée officiellement à la date du 8 mai une « fête de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme ». À partir de 1945, le 8 mai reste un jour férié, mais prenant un autre sens, celui célébrant la victoire contre l’Allemagne nazie. Du coup, pour les rescapés de la collaboration puis ses nostalgiques, l’hommage à Jeanne d’Arc prend alors des allures de contre-manifestation. Fondé en 1972, groupusculaire au long des dix années suivantes, le Front national s’associe à la cérémonie en 1979.

En 1988, Jean-Marie Le Pen décide que le défilé frontiste aura lieu le 1er mai, et non le 8. C’est que le second tour de l’élection présidentielle, auquel le chef frontiste espère participer, doit se tenir ce 8 mai. Le Pen veut ainsi faire de la manifestation une démonstration de force dans l’entre-deux tours. Mais aussi s’épargner le voisinage des groupes d’extrême droite radicaux qui, eux, défileront bien le 8. Le Pen échoue finalement à parvenir au deuxième tour : le 1er mai, il devra se contenter d’appeler à « voter Jeanne d’Arc ».

Une autre raison, plus stratégique, justifie cependant le changement de date, qui sera maintenu les années suivantes. « Nous avions décidé de jumeler cette fête patriotique avec la fête des travailleurs afin de montrer la vocation sociale du FN », a expliqué Carl Lang, ancien secrétaire général du FN, « cela nous permettait d’intégrer la célébration de Jeanne d’Arc dans une revendication concrète et actuelle, de lier le social et la patrie, le passé et le présent. » Ces motifs annonçaient également la mutation de l’électorat du Front national à cette époque et durant les années 1990 : aux artisans, petits patrons et professions libérales se rajoutent, de plus en plus nombreux, des ouvriers et employés. Le discours du FN s’adapte alors : après avoir longtemps voulu représenter « la vraie droite », le parti se revendique bientôt « ni de droite, ni de gauche ».

Jeanne d’Arc n’a pourtant jamais mis les pieds au Havre

La dernière édition de la « Fête de la nation », tenue en 2015, avait donné lieu à de fortes tensions entre Marine Le Pen, présidente du parti, et son père, président d’honneur, qui s’était introduit sur scène sans prévenir. Jean-Marie Le Pen avait finalement été exclu du FN quelques semaines plus tard. Le Rassemblement national a donc voulu solder cet héritage devenu encombrant, qui donnait par ailleurs lieu chaque année à des démonstrations de force de noyaux militants les plus radicaux de la fachosphère, que le RN couleur Marine a encore moins qu’avant intérêt à rendre visibles. Par contre, il entend conserver la date du 1er mai « pour mettre l’accent sur le travail et le social ». Alors choisir pour ce 1er mai d’aller parader au Havre, cité ouvrière, longtemps dominée par le Parti communiste qui plus est, en plein mouvement social marqué depuis trois mois par les grèves des dockers et des raffineurs de la zone havraise contre le projet Borne-Macron de la retraite à 64 ans, est évidemment un pari sur l’avenir effectué par le tandem Le Pen-Bardella. Un autre de leurs calculs est celui de tester la réaction d’Édouard Philippe, ancien Premier ministre de Macron et maire du Havre, que Le Pen imagine en « meilleur adversaire » lors des présidentielles de 2027. En tout cas, cette venue est perçue comme une énorme provocation par toutes celles et ceux qui savent que Le Pen et toute sa clique sont les pires ennemis du monde du travail. La retraite à 60 ans et avec 37,5 annuités n’ont jamais figuré au programme du RN et n’y figureront jamais, car l’extrême droite sert les intérêts des patrons. Le Pen n’a rien à faire au Havre le 1er mai. Ce jour-là, c’est la journée de lutte internationale des travailleurs et des travailleuses : que tous les fachos restent dans leur trou de rat et soient invisibles… au Havre comme partout. Un collectif unitaire s’est mis en place au Havre appelant à manifester dans le centre-ville le matin du 1er mai « contre la haine et pour défendre les retraites ». Ce serait évidemment une très bonne nouvelle que les 1000 militants d’extrême droite se sentent enserrés de toutes parts par des dizaines de milliers de manifestants aux couleurs du mouvement ouvrier et antifasciste. Cela étant dit, comme c’est assez facile de bloquer les accès au Havre au vu de sa configuration géographique, comme le font très souvent les grévistes… peut-être que les cars des militants du RN pourraient se retrouver empêchés d’arriver jusqu’aux docks. Une occasion de montrer que la seule force qui pourra nous débarrasser du pouvoir de nuisance de l’extrême droite, c’est la classe ouvrière !

Marie Darouen