Nouveau Parti anticapitaliste

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Le seigneur des porcheries, roman de Tristan Egolf

Le seigneur des porcheries. Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes, de Tristan Egolf

Folio, 2000, 607 p., 10,20 €

 


 

« Quand les éboueurs font grève, les orduriers sont indignés », disait Jacques Prévert. C’est un peu ce que raconte la dernière partie de ce roman bien noir, en forme de farce bouffonne, et qui prend aujourd’hui un certain relief bien qu’écrit il y a plus de vingt ans.

Son personnage principal, l’anti-héros John Kaltenbrunner (homonyme d’un dignitaire nazi ; tant qu’à en faire un anti-héros, autant y aller jusqu’au bout), passe les trois quarts du récit à endurer les pires épreuves que puisse subir un loser de l’Amérique profonde quand le sort s’acharne contre lui. John n’est ni stupide, ni mauvais garçon. Il a seulement l’art d’être là où il faut quand il faut pour servir de bouc-émissaire à une société hypocrite et sans pitié pour les opprimés : le Midwest des États-Unis.

Sorti péniblement d’une sorte de détention-travail d’intérêt général sur un bateau sillonnant le Mississippi, John ne trouve d’autre travail que celui réputé être pour parias parmi les parias, en dessous même de l’abattoir de dindes : éboueur. Il n’a ni la fibre d’un tribun, ni celle d’un négociateur. Et pourtant, c’est bien sa présence qui catalyse la réaction de ses collègues de travail, laquelle constitue à la fois le dernier tiers et la meilleure partie – à l’humble avis de l’auteur de ces lignes – du livre, à savoir leur grève. Ou leur insurrection ? Car quand les éboueurs de Baker, petite bourgade du Midwest, se révoltent contre tous ceux qui les traitent comme des moins que rien, ils ne font pas dans la dentelle. Leur lutte prend des allures de châtiment apocalyptique par un enchaînement de faits dont la logique a moins à voir avec la vraisemblance qu’avec la jubilation de Tristan Egolf à régler ses comptes avec les méthodistes, les flics et les patrons. Mais aussi avec à peu près tout le reste des habitants de Baker et du comté de Greene. Le nihilisme de l’auteur étant ce qu’il est, on se gardera de chercher des conclusions politiques à cette lecture, à moins d’avoir envie de fouiller les poubelles du comté en question. On se contentera du sentiment de fierté retrouvée des collègues du héros, lorsque, noyant la ville sous ses propres ordures, ils lui rappellent à quel point ils lui sont indispensables…

Mathieu Parant