Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Les ouvriers du géant sucrier Tereos contre la fermeture de leur usine

En grève depuis une semaine, les ouvriers de Tereos occupent l’entrée de l’usine située dans la commune d’Escaudœuvres, près de Cambrai dans le Nord.

Mercredi, Fabien apprend la décision brutale de la fermeture du site. L’ouvrier vient de quitter le site pour se rendre en formation, il fait demi-tour. « J’ai tout de suite pris ma voiture pour rentrer, ça n’avait pas de sens de se former. » Il rejoint ses 133 collègues qui se sont mis en grève.

À eux tous, ils immobilisent quelque 40 000 tonnes de sucre. À raison de 1000 euros la tonne, cela fait rien de moins qu’un trésor de 40 millions d’euros que les travailleurs conservent dans des silos qui peuvent accueillir jusqu’à 135 000 tonnes de sucre. À quoi il faut ajouter 50 mètres cubes de graines qui doivent être semées d’urgence, dès ce mois de mars. L’occupation semble ainsi être un puissant levier de pression.

Tereos, deuxième producteur mondial de sucre et premierr producteur français, profite pourtant à plein de la hausse des matières premières. En début de « campagne », au mois de septembre, alors que la récolte des betteraves d’où le sucre est tiré, commençait seulement, le prix de la tonne de sucre s’élevait à 500 euros. Il atteint maintenant les 1000 euros. En plus des produits alimentaires, la poudre blanche est utilisée pour le bioéthanol qui fait grimper le prix du gros. Cette augmentation du prix se reflète dans les bénéfices du groupe. Au premier semestre, Tereos a plus que doublé ses bénéfices. Sans compter les coûts financiers, ceux-ci s’élèvent à 464 millions d’euros. Ni le groupe ni l’usine ne sont donc en difficulté, la dernière serait rentable à partir de 350 euros la tonne de sucre. Ce n’est donc pas pour diminuer la production, ni même pour délocaliser, que le groupe ferme le site pour lequel il a investi 50 millions d’euros en machines ces dernières années (machines qui seront transférées ailleurs). C’est pour répartir la production sur les autres sites de la région.

Les travailleurs du groupe en avaient conscience. Venus des usines de Boiry, Lillers, Thumery et Chevrières, quatre des neuf usines françaises de Tereos, ils ont manifesté, en chasuble syndicale ou simplement de l’entreprise, jusqu’à l’hôtel de ville de Cambrai avec leurs camarades d’ Escaudœuvres . Des groupes de travailleurs d’autres entreprises, comme l’usine Heinz de Marcq-en-Barœul qui produit de la mayonnaise et dont les salariés luttent actuellement pour 300 euros d’augmentation de salaire pour tous, étaient là aussi. Au total, ce sont entre 1500 et 2000 travailleurs, accompagnés des conjoints, des enfants, des copains, qui ont tenu le pavé ce 15 mars. Encore un peu abasourdis par l’annonce mais décidés à ne pas se laisser faire. Devant le cortège, l’animation CGT dénonce l’appauvrissement des travailleurs. Si tous ne reprennent pas les slogans, tous partagent le constat.

Arrivé dans Cambrai, deux discours résonnent. D’abord, et au nom de l’intersyndicale, Benoît Maréchal, CGT. Le syndicaliste insiste : la lutte des Tereos n’a pas lieu dans un ciel serein. En arrière-fond de la bagarre contre la fermeture, celle qui s’est engagée sur le terrain des retraites. « C’est une même logique […] toujours plus de profits, toujours pour le capital, avant la vie des gens et la vie d’un territoire. ». Une tout autre tonalité pour la deuxième prise de parole, celle du député LFI François Ruffin, déterminé à jouer son rôle de député. Le malheur, d’après lui, ce n’est pas les 124 travailleurs qui risquent de perdre leur emploi, mais la disparition du savoir-faire « français » de la culture du sucre en betterave, ingénieusement inventé lors du Premier Empire pour se substituer à l’importation du sucre de Saint-Domingue que le blocus continental empêchait. On ne lutte pas seulement pour l’emploi et le salaire mais pour « l’amour » de ces métiers, raconte le député. Sur qui compter ? L’État bien entendu, qui doit refuser d’homologuer la fermeture de site et intervenir pour réguler les prix. Mais ce n’est pas parce que les prix sont trop bas que l’entreprise ferme, au contraire ils n’ont jamais été aussi hauts ! Est-ce l’industrie française qu’il faut défendre ? Ou les ouvriers qui y travaillent et que les patrons bien français du secteur menacent de licencier ? Un vrai casse-tête pour un « souverainiste » !

Ceux des ouvriers qui le criaient à la manifestation ont bien raison : « C’est pas à l’Assemblée, c’est pas à Matignon, ce n’est pas dans les salons qu’on obtiendra satisfaction ! » Leur mobilisation montre la voie, celle de l’affrontement direct avec le patronat, dans un contexte où la colère ouvrière monte.

Correspondant