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L’État d’Israël et la question palestinienne [2/3]

Le projet sioniste a été, dès la naissance de l’État israélien, traversé par une contradiction : comment fonder un État démocratique tout en assurant sa « judéité », c’est-à-dire en niant les droits de la majorité palestinienne ? Dès sa naissance, la proposition de l’ONU de partition de la Palestine en deux États, juif et arabe, officiellement acceptée par les fondateurs de l’État hébreu, n’était pour eux qu’une fiction, une concession momentanée.

1947-1977 : conquêtes et expulsions

Les deux grandes tendances du sionisme s’opposèrent vivement sur ce sujet : ceux qui étaient issus du courant qu’on appelait les « sionistes révisionnistes », le courant qui avait créé l’Irgoun et s’était fondu dans le nouveau parti de droite de Menahem Begin, revendiquait l’ensemble du territoire palestinien et la négation totale des droits de la population native, un système proche de celui de l’apartheid qui se mettait en place à la même époque en Afrique du Sud. De leur côté, les travaillistes de Ben Gourion acceptèrent le partage de l’ONU. Mais ils ne le concevaient que comme une simple étape, le temps de faire partir un maximum de Palestiniens. La différence était tactique : le jeune État israélien pouvait-il assumer qu’une minorité domine et exploite une majorité de la population ? Pouvait-il risquer de ternir sa réputation démocratique, alors qu’il était dépendant de l’aide extérieure et des alliances internationales ? Et, à la différence de celle de l’Afrique du Sud, la nouvelle bourgeoisie israélienne avait-elle besoin de garder à proximité une main-d’œuvre arabe à exploiter ?

La réponse négative à ces questions des travaillistes, puisque ce sont eux qui arrivaient alors au pouvoir, explique la course aux expulsions entre l’annonce du plan de partition de 1947 et la proclamation d’indépendance de l’État d’Israël, un an plus tard.

Deux décennies plus tard, après la guerre des Six Jours de 1967 contre l’Égypte, la Jordanie et la Syrie, l’État israélien occupa la péninsule du Sinaï, la bande de Gaza et la Cisjordanie, prenant possession de Jérusalem, repoussant la ligne de front orientale de 50 kilomètres et expulsant 188 500 réfugiés sur l’autre rive du Jourdain. Dans la décennie suivante, il construisit plus d’une vingtaine de « colonies de sécurité », alors que le mouvement politique et religieux Goush Emounim constituait des colonies sauvages, sous la protection de l’armée.

1977-1993 : colonisation et morcellement de la population palestinienne

En 1977, c’est le parti de Menahem Begin, le Herout, ancêtre de l’actuel Likoud de Benyamin Netanyahou, qui arrivait pour la première fois au pouvoir, à la tête d’une coalition de la droite israélienne. En signant avec le président égyptien Sadate les accords de Camp David, permettant notamment à l’Égypte de récupérer le territoire du Sinaï, il mit de fait fin à l’expansion israélienne, mais en légitimant la mainmise sur la Cisjordanie et sur Gaza, et la colonisation dans ces territoires palestiniens. Celle-ci fut accélérée : trois ans plus tard, les colonies occupaient 30 % du territoire palestinien, elles étaient progressivement unifiées, faisant des villages palestiniens des enclaves coupées les unes des autres.

À la fin de cette décennie, le pouvoir israélien fit face à la révolte de la jeunesse palestinienne, la première Intifada de 1987-1990, qui éclatait dans les territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie. Elle était spontanée, partie de jeunes, presque des enfants parfois, qui affrontaient avec des pierres l’armée israélienne, alors que le gouvernement envoyait 80 000 soldats pour tenter de rétablir l’ordre, tortures et arrestations arbitraires à l’appui. Tenir en main les territoires occupés devenait une gageure.

En cette période d’effondrement de l’URSS et du bloc de l’Est, et de fin de la guerre froide, privant le mouvement politique palestinien d’un de ses faibles soutiens, les pressions des puissances impérialistes, et en premier lieu des États-Unis, se faisaient plus fortes pour pousser l’État d’Israël à trouver un compromis qui stabilise la situation.

C’est ainsi que le gouvernement israélien d’Yitzhak Shamir accepta de participer en 1991 à une conférence à Madrid parrainée par les États-Unis – et, pour la forme, par la moribonde URSS – et en présence de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, de représentants de Gaza et de la Cisjordanie… mais pas de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), le mouvement dirigé par Yasser Arafat.

Mais c’est bien de l’OLP qu’il s’agissait, si l’on voulait trouver une solution. Une OLP grandement affaiblie, chassée en 1973 de Jordanie par les troupes du roi Hussein avec les massacres du « septembre noir », puis chassée dix ans plus tard du Liban où elle s’était réfugiée, pour partir avec son commandement et ses troupes en Tunisie loin de la population palestinienne qu’elle était censée représenter.

Prenant le relais du gouvernement de droite d’Yitzhak Shamir, le gouvernement travailliste d’Yitzhak Rabin, élu en 1992, entama les négociations d’Oslo avec Yasser Arafat pour négocier la mise en place de la future Autorité palestinienne.

L’année suivante, les accords signés reconnaissaient un gouvernement palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Mais ces accords se firent au prix de la reconnaissance de l’essentiel des colonies. Le territoire palestinien était coupé en trois zones : une zone sous pleine autorité palestinienne (dite « zone A ») ne représentant que 6 % du territoire, une zone sous contrôle mixte (« zone B ») 20 % et la zone occupée (« zone C »), 74 %, incluant les axes routiers reliant les territoires palestiniens, les frontières et 80 % des ressources en eau. La question des réfugiés palestiniens et palestiniennes exilés dans les pays voisins restait quant à elle absente des accords d’Oslo, tout comme celle des prisonniers politiques.

Pourtant, le petit espoir de création d’un État palestinien, fût-ce sur moins d’un quart de la Palestine historique, effrayait suffisamment la droite israélienne pour qu’elle rejette ces accords, et que Rabin soit assassiné en 1995 par un militant d’extrême droite.

Dans la société israélienne, les militants israéliens anticolonialistes, pacifistes et anti-sionistes (et ils n’étaient malheureusement qu’une poignée) se divisèrent sur ces accords. Pour certains, Oslo avait le mérite de reconnaître l’existence du peuple palestinien et de ses droits. Pour d’autres, il s’agissait d’une trahison de l’OLP, soumise aux diktats américains après avoir perdu ses soutiens de Moscou et du nationalisme arabe. Une partie des militants et militantes les plus à gauche de la résistance palestinienne, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDPLP) notamment, le voyaient également ainsi.

De fait, loin de signer la naissance d’un État palestinien à côté de l’État hébreu, les accords d’Oslo se limitaient à confier à la direction de l’OLP le rôle de gestion de la misère dans les territoires dont on lui laissait le contrôle, et d’y faire la police contre les pauvres.

Le piège des accords d’Oslo

Rabin et ses proches étaient parfaitement conscients que les accords d’Oslo n’étaient pas viables. Les signer leur permettait surtout de gagner du temps en faisant trainer la négociation tout en poursuivant la colonisation. Ces accords donnaient aussi le beau rôle aux États-Unis qui apparurent pour un temps comme les parrains de la paix.

Dès la fin des années 90, les espoirs de paix et d’État palestinien viable disparurent.

En 2000, les négociations sur le statut final des territoires occupés échouèrent, notamment sur les questions de la reconnaissance de Jérusalem-Est comme capitale du futur État palestinien, du démantèlement des colonies et du droit au retour des réfugiés. La seconde Intifada éclata à partir de Jérusalem, suite à la visite provocatrice sur l’esplanade des Mosquées du sinistre Ariel Sharon .(responsable du massacre des camps palestiniens de Sabra et Chatila au Liban en 1982), qui accéda au poste de Premier ministre quelques mois plus tard.

La colonisation reprit de plus belle en Cisjordanie, pérennisée par la construction d’un mur de « protection » à partir de 2002. C’est même pour intensifier cette politique en Cisjordanie que Sharon décida du retrait de Gaza en 2005, en affrontant les accusations de trahison de ses partisans les plus radicaux.

La succession de nouveaux « plans », de celui des travaillistes en 2000 (Camp David II) à celui de Trump en 2020, ne saurait tromper personne : ils n’ont rien arrêté des fréquentes attaques militaires contre Gaza, meurtres et arrestations de militants et militantes palestiniens et palestiniennes, ou des expulsions.

Quelle issue ?

La situation actuelle, avec une population palestinienne sans droits, maintenue en minorité perpétuelle, et quelques enclaves isolées aux mains d’autorités locales, en un mot la situation d’apartheid, n’est pas une situation viable : outre qu’elle est évidemment insupportable pour le peuple palestinien, elle n’est conçue que comme transitoire par la classe dirigeante israélienne.

La perspective d’un État palestinien à côté de l’État israélien, dans le Moyen-Orient tel qu’il est, si tant est que l’État d’Israël renonce à sa politique d’expansion, ne peut plus sembler crédible à personne : ce ne serait que l’État des pauvres et sans emplois. Quelles en seraient les frontières ? Comment Gaza et la Cisjordanie seraient-elles reliées ? Qui contrôlerait les routes ? Qu’adviendrait-il des réfugiés palestiniens et palestiniennes éparpillés dans les pays voisins ?

Ceux qui, en Israël, avancent, avec 75 ans de retard, l’idée d’un État unique, binational, laïque et démocratique, à l’opposé de « l’État-nation du peuple juif » qui s’est construit, ne sont, là encore, qu’une petite minorité d’intellectuels ou militants antisionistes et pour l’égalité des peuples. Mais quelle égalité si l’argent reste roi et les Arabes les pauvres du pays ? Si l’on n’expulse plus les Palestiniens et Palestiniennes de leurs terres, mais qu’il suffit de les leur racheter ? Si l’on ne détruit pas l’armée d’Israël, Tsahal, elle-même, cette armée israélienne née pour faire la police contre les pauvres et pour la défense contre tous les peuples voisins ? Si l’on ne s’en prend pas au rôle que joue l’État israélien comme gendarme du Moyen-Orient ?

Bref, une telle « solution » ou une autre ne pourraient venir que d’une situation révolutionnaire, où les classes ouvrières israélienne et palestinienne se retrouveraient côte à côte contre l’État et les patrons qui les oppriment. Une révolution sociale qui ne pourrait se limiter aux seules terres israélo-palestiniennes, mais toucherait tout le Proche-Orient, notamment la Syrie, le Liban et la Jordanie, où se trouvent la majorité des réfugiés palestiniens et palestiniennes. Elle devrait mettre à bas les frontières issues du partage impérialiste de la région, et l’ensemble des gouvernements et classes dirigeantes qui en profitent.

Elle ne pourrait venir que de l’unité des exploités et des opprimés par-delà les appartenances nationales, linguistiques et religieuses, et de leur indépendance vis-à-vis des exploiteurs et oppresseurs de tous les bords, unis pour la construction d’une société sans classes et sans État.

L’émergence d’organes de pouvoir démocratiques ouvriers et paysans, de conseils se fédérant à l’échelle de la région, peut aujourd’hui sembler une « solution » utopique. Mais elle l’est bien moins que l’illusion d’une « paix » dans le respect des frontières et de l’ordre social actuels. Et après tout, n’a-t-on pas vu en 2011, même si le mouvement a été limité, la classe ouvrière israélienne descendre dans la rue contre la vie chère, en regardant avec sympathie les révoltes du « printemps arabe » qui venaient d’avoir lieu en Égypte et en Tunisie ? N’a-t-on pas vu plus récemment, au Liban, pays où les réfugiés palestiniens et palestiniennes sont si nombreux, en 2019-2020, des mois de manifestations et de révoltes sociales, où toute une jeunesse s’en prenait au confessionnalisme entretenu par les clans au pouvoir et qui divise le pays ?

Jean-Baptiste Pelé, 13 mai 2023

 


 

Nos articles sur les 75 ans d’histoire d’Israël :

Première partie : 1948, naissance d’Israël et « catastrophe » palestinienne

Deuxième partie : l’État d’Israël et la question palestinienne

Troisième partie : l’extrême droite au gouvernement, en guise de cadeau d’anniversaire