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L’extrême droite au gouvernement, en guise de cadeau d’anniversaire [3/3]

Pour ses 75 ans, Israël a hérité du gouvernement le plus à droite de toute son histoire. Ce n’est pas peu dire ! Après presque deux mois de crise et de marchandages, le chef de file du parti de droite, le Likoud, Benyamin Netanyahou, qui a déjà été cinq fois Premier ministre de 1996 à 1999, puis sans discontinuer de 2009 à 2021, a formé le 28 décembre 2022 un gouvernement d’alliance avec cinq plus petits partis religieux ultra orthodoxes et d’extrême droite : le Parti sioniste religieux, Judaïsme unifié de la Torah, Shass (Séfarades orthodoxes pour la Torah), Noam (parti d’extrême droite dont l’homophobie est l’image de marque) et Force juive. Le chef de file de Force juive, militant dans les années 1990 d’un parti d’extrême droite qui avait été classé terroriste par les autorités israéliennes et américaines, plusieurs fois condamné pour incitation à la haine, obtient le poste de ministre de la Sécurité nationale : à son programme, la création d’une garde nationale constituée de volontaires, sous l’autorité de son propre ministère, et la peine de mort pour les prétendus terroristes palestiniens. L’idéologue raciste Bezalel Smotrich, du Parti sioniste religieux, cumule à la fois le poste de ministre des Finances et la mainmise sur l’administration des colonies, ces implantations juives qui se multiplient depuis des années en Cisjordanie par l’accaparement des terres et l’expulsion des Palestiniens qui y vivent.

Un pouvoir qui réforme la justice pour s’y soustraire

Avec une majorité « ric-rac » au Parlement (63 députés sur 120), ce sixième gouvernement Netanyahou a soulevé un tollé dans le pays avec son projet de loi de réforme de la justice. Vu de loin, le texte de la réforme pourrait paraître bénin, voire presque démocratique, puisqu’il s’agirait en principe de renforcer le pouvoir des élus par rapport à celui des magistrats, en s’attaquant au droit de la Cour suprême à révoquer une loi ou à contester la nomination des ministres. Le crime de la Cour suprême aux yeux du nouveau gouvernement était surtout d’avoir invalidé la nomination au poste de ministre de l’Intérieur et de la Santé du chef du parti Shass, reconnu coupable de fraude fiscale. D’autant que Benyamin Netanyahou est lui-même sous le coup d’un procès pour corruption dont il aimerait bien se protéger.

Les ficelles étaient si grosses que la vague de manifestations contre le gouvernement de Netanyahou a été massive : 20 000 manifestants dans les rues de Tel-Aviv le 7 janvier, 80 000 la semaine suivante alors que d’autres manifestations se déroulaient à Haïfa et Jérusalem, plus de 100 000, voire 150 000 aux manifestations de début février, près de 250 000 si on additionne les manifestations qui ont eu lieu le 18 février dans près de 60 endroits dans le pays, et 500 000 personnes mi-mars. Le 27 mars, le président de la République demandait au chef du gouvernement d’ajourner sa réforme « au nom de l’unité du peuple israélien » alors que la confédération syndicale Histadrout appelait à une grève générale. Le 29 mars Netanyahou suspendait sa réforme.

Contestation massive mais ambigüe

L’ampleur des manifestations montre que le mécontentement dépassait probablement le seul motif initial de la protestation, cette réforme très technique des instances supérieures de la justice, et les calculs politiciens des concurrents pour le pouvoir qui en ont pris l’initiative. Le malaise social, dans la population juive d’Israël elle-même, en est en partie l’arrière-plan. Mais on est bien loin des contestations sociales de 2011 en Israël, la même année que les révoltes de Tunisie et d’Égypte. Dans les protestations de ce début d’année 2023 au contraire, se mêlaient toutes les couches de la société israélienne. Comme cette femme d’affaires, citée par le journal Le Monde du 1er avril, qui jusque-là voyait en Netanyahou un « dirigeant fiable » et trouvait « un peu naïfs » les manifestants qui, en 2011, avaient planté leurs tentes en plein Tel-Aviv pour protester contre la hausse des prix et la vie devenue impossible pour les couches populaires. La voilà devenue « l’une des premières parmi les entrepreneurs du numérique à avoir pris parti contre la réforme » et elle a jugé plus prudent de retirer de la banque quelque 90 millions d’euros pour protéger les finances de sa société du climat d’instabilité des affaires que le nouveau régime de Netanyahou risquait de créer.

Les protestataires, selon ce même reportage, « applaudissent la police, inondent les rues de drapeaux […] professent leur amour des juges, du directeur de la Banque centrale, et des économistes du ministère des Finances, qui mettent en garde contre les conséquences de la réforme ».

Mais si la femme d’affaires, le banquier et les économistes sont pour une fois dans le camp de la contestation, c’est par crainte de l’instabilité. C’est la même raison qui a amené le président américain Joe Biden à faire les gros yeux au chef du gouvernement israélien sur cette réforme de la justice trop contestée. Alors que pour le reste, dans une parfaite continuité avec Donald Trump, Biden cautionne la politique de colonisation accrue de la Cisjordanie, a maintenu le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, soutenant par là toutes les provocations du gouvernement israélien et des extrémistes religieux dans cette ville qui devait jusque-là rester partagée avec la communauté palestinienne et les lieux de cultes musulmans. Tant l’impérialisme américain et ses alliés occidentaux ont besoin du rôle de gendarme d’Israël au Moyen-Orient.

Une démocratie sélective ?

Dans une tribune du journal Le Monde du 15 avril dernier, au moment des plus fortes manifestations en Israël contre la réforme de la justice, les signataires, membres ou proches de La paix maintenant et de JCall (deux mouvements d’intellectuels juifs pour la paix en Palestine), regrettent « l’absence significative, et regrettable, des Arabes israéliens dans les manifestations alors qu’ils seront les premiers concernés, sinon les premières victimes, de ce changement de régime »… tout en reconnaissant qu’« il est vrai que pour mobiliser des sympathisants de droite et des religieux, le mouvement social n’a pas fait de la lutte contre l’occupation un thème de rassemblement ».

Mais comment les Arabes israéliens, citoyens de seconde zone depuis la création d’Israël, auraient-ils pu se sentir concernés ? Car c’est sans soulever la moindre réaction parmi ces démocrates israéliens, qu’au début du mois d’avril, l’armée israélienne est intervenue à plusieurs reprises à Jérusalem sur l’esplanade des Mosquées pour disperser à coups de matraque les Palestiniens, Arabes d’Israël ou venus des territoires de Cisjordanie, rassemblés à l’occasion du Ramadan, procédant à quelque 450 arrestations.

Et pourquoi les Arabes israéliens devraient-ils se sentir concernés par une mythique démocratisation d’Israël, qui ne changerait rien à leur sort, plutôt que se sentir solidaires de leurs frères ou cousins, Palestiniens comme eux, mais de Cisjordanie et de Gaza ? Depuis le début de l’année, sous la houlette du gouvernement Netanyahou et de son ministre des Finances et de la gestion des colonies, Bezalel Smotrich, et sous l’impulsion de tous les courants nationalistes, religieux orthodoxes et d’extrême droite, se sont multipliées les nouvelles implantations de colonies juives en Cisjordanie, accompagnées de l’expulsion des habitants palestiniens de leur terre. Avec les raids de l’armée contre tous les protestataires, qui ont fait plus de 110 morts depuis le début de l’année. Avec de véritables « ratonnades » menées par les colons, comme à Huwara le 26 février dernier, brûlant 35 maisons palestiniennes, faisant un mort et des centaines de blessés, et félicités par Bezalel Smotrich appelant à « effacer » le village d’Huwara. Sans, là encore, que les manifestants démocrates israéliens ne s’en émeuvent : « Un grand nombre de manifestants, voire une majorité, considèrent que l’occupation est un “mal nécessaire” », notent eux-mêmes les auteurs de la tribune.

Tant qu’il en sera ainsi, même la simple démocratisation d’Israël est un mythe.

Le peuple israélien victime d’Israël

L’arrivée au pouvoir d’un cocktail de la droite la plus réactionnaire avec une extrême droite de plus en plus offensive, notamment dans les colonisations de Cisjordanie, est l’héritage de la politique d’Israël depuis sa création, quelle ait été menée, selon les périodes, par les leaders de ce qu’on appelait la gauche, de Golda Meir à Shimon Peres, ou par les leaders de la droite d’Ariel Sharon à Benyamin Netanyahou. Elle est dans la logique d’un État qui s’est créé sur des bases communautaires et religieuses, par la spoliation et l’expulsion de la population arabe qui vivait en Palestine ; un État qui, pour se protéger de ceux qu’il opprime, est devenu l’un des pions militaires des grandes puissances impérialistes, et en premier lieu des USA, pour le maintien de l’ordre contre les peuples pauvres de la région.

Succès pourrait-on dire, Israël aujourd’hui est classé parmi les économies les plus prospères de la planète, au 14e rang mondial pour le PIB par habitant. Ses fleurons industriels du jour, qui enrichissent ses hommes d’affaires, sont les start-ups du domaine de la cybersécurité, ou les industries high-tech de l’armement, Elbit Systems (fabrication d’armes légères ainsi que de systèmes de pilotage ou de surveillance), Israël Aerospace Industries et Rafael Advanced Defence Systems (systèmes de défense).

Mais plus de 310 000 familles (10 % de la population) vivent dans la pauvreté, en situation d’insécurité alimentaire. Le revenu moyen des 10 % les plus riches (on ne parle pas là des très riches) est 5,3 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres, contre 3,5 fois en France : un record en matière d’inégalités, battu seulement par le Costa-Rica, les USA… et la Turquie. Les quartiers de villas cossues jouxtent les barres d’immeubles décrépis construites dans les années 1950 pour ceux qui arrivaient d’Afrique du Nord, occupés toujours par les couches les plus pauvres des derniers arrivants. Et ce sont les bas salaires et les prix des logements en Israël qui fournissent en partie des recrues pour les vagues de colonisations en Cisjordanie, là elles se voient offrir notamment des appartements et des maisons à des prix défiant toute concurrence.

La population israélienne elle-même est victime de cette politique, tant par l’obligation pour tous de passer deux ans voire trente mois de leur vie dans l’armée, à mener des opérations de répression sur des jeunes comme eux, mais arabes, que par le coût du ministère de la Défense qui grève le budget au détriment des services publics et du niveau de vie. Les classes populaires d’Israël ne sortiront pas de ce guêpier où elles sont enfermées sans une révolte sociale au cours de laquelle elles se solidariseront, contre le gouvernement, contre l’État d’Israël, avec les populations palestiniennes de l’autre côté de ces murs qui morcellent aujourd’hui la Cisjordanie pour protéger les colonies, ou ces barbelés qui ferment la bande de Gaza. Tant qu’elles ne prendront pas conscience que leur avenir est lié à celui de tous les peuples d’un Moyen-Orient enfin débarrassé, par une révolution sociale, de l’exploitation et des injustices. C’est la condition, urgente, pour ne pas continuer à vivre en permanence dans un état de guerre, réduites à un rôle de geôlier sous la coupe d’un Netanyahou ou de ses semblables.

Olivier Belin, 13 mai 2023

 


 

Nos articles sur les 75 ans d’histoire d’Israël :

Première partie : 1948, naissance d’Israël et « catastrophe » palestinienne

Deuxième partie : l’État d’Israël et la question palestinienne

Troisième partie : l’extrême droite au gouvernement, en guise de cadeau d’anniversaire