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L’Irlande du Nord, 25 ans après la fin du conflit nord-irlandais

Le 5 mai dernier, c’était le 42e anniversaire de la mort de Bobby Sands, 27 ans, membre de l’IRA, élu député Sinn Fein à la Chambre des communes moins d’un mois avant sa mort, le 9 avril 1981. Il est mort dans la prison de Maze, en Irlande du Nord, à la suite de la grève de la faim qu’il avait entamée deux mois auparavant pour réclamer, avec ses codétenus de l’IRA, le statut de prisonnier de guerre.

Peu auparavant, le 25e anniversaire de l’accord du Vendredi saint – signé le 10 avril 1998 et qui avait mis fin à trente ans de conflit – a été l’occasion de la visite du président Joe Biden, d’origine irlandaise, à Belfast ainsi que de Bill et Hillary Clinton. Visite qui a été l’occasion de toutes sortes de raouts où dirigeants britanniques, irlandais et américains se sont félicités de cet accord, mais aussi du rôle, en partie facilitateur, joué par les États-Unis.

Cet accord avait été signé entre les nationalistes irlandais partisans de l’unification de l’Irlande dans une république indépendante et les unionistes, partisans du maintien dans le Royaume-Uni1.

Parmi les clauses de l’accord figure la création d’un Parlement local où sont représentés les deux camps qui se partagent le pouvoir. Les anciens paramilitaires des deux côtés ont ainsi troqué le kaki pour le costume trois pièces.

Le principal parti unioniste en perte de vitesse

Or, depuis les élections de mai 2022, ce sont les républicains irlandais du Sinn Fein (constitué notamment d’anciens paramilitaires républicains irlandais) qui sont devenus le premier parti représenté à ce Parlement. La vice-présidente du Sinn Fein devrait donc normalement devenir cheffe du gouvernement d’Irlande du Nord… si l’Assemblée se réunit. Car le Parti unioniste démocratique (DUP), jusque-là premier parti par son nombre de députés, refuse désormais d’y siéger.

La baisse du nombre de voix du DUP (– 6,7 %) a des causes multiples et s’est faite en quelque sorte par les deux bouts.

Le Sinn Fein n’a que peu progressé (+ 1,1 %), mais il a reçu un soutien d’électeurs nationalistes qui reprochaient au DUP de ne pas se prononcer sur la formation d’un gouvernement de coalition avec le Sinn Fein et refusent désormais les attitudes suprémacistes protestantes.

D’un autre côté, selon le journaliste Sam McBride du Belfast Telegraph, qui suit de près ce qui se passe dans la mouvance unioniste, cette dernière, en même temps qu’elle perdait de l’influence, se serait radicalisée : « L’unionisme est en train de se rétrécir et de se durcir. » Cela se traduit par un changement de rapport de force au sein même de l’unionisme pro-britannique, certains électeurs du DUP se déplaçant vers le TUV (Voix traditionaliste unioniste, + 5,1 %) qui a surfé sur les conditions d’établissement du Brexit : du fait du maintien de l’Irlande dans l’Union européenne, une barrière douanière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord, a été créée, faisant craindre à une partie de la population unioniste un rapprochement inéluctable avec la république d’Irlande. En tout cas, le DUP ne peut pas, même s’il le souhaitait, siéger pour l’instant au Parlement du fait de cette concurrence des unionistes plus radicaux qui refusent de laisser un gouvernement se créer tant que la situation antérieure au Brexit n’est pas rétablie avec un commerce sans barrière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord2. La situation politique est donc bloquée du fait du système de la coalition obligatoire entre les deux camps : si l’un des deux refuse d’y participer, le gouvernement ne peut pas exister.

Dans la communauté loyaliste, une partie de la jeunesse avait exprimé par la violence sa peur de voir l’Irlande du Nord se rapprocher de la république d’Irlande. Les groupes paramilitaires loyalistes3 se sont par exemple appuyés sur cette situation pour organiser une attaque factice contre le ministre irlandais des Affaires étrangères qui avait fait un déplacement à Belfast pour parler de… réconciliation.

Les protestants unionistes ont le sentiment que le sol se dérobe sous leurs pieds et que le gouvernement britannique les a trahis, leur place dans le Royaume-Uni étant remise en cause sans leur consentement. Sentiment aiguisé par la situation mise en évidence par les résultats du recensement de 2021 montrant que la population protestante n’est plus majoritaire en Irlande du Nord. Désormais, ceux qui se définissent comme catholiques représentent 45 % de la population, contre 44 % pour les protestants. C’est la première fois que les catholiques (plutôt en faveur de l’unification irlandaise) ne sont plus une minorité dans cette entité nord-irlandaise créée en 1921 après la guerre d’indépendance (1919-1921) et dont les frontières avaient été dessinées pour garantir une majorité protestante pro-britannique dans cette partie de l’île et maintenir ainsi une pesante présence de l’ancienne puissance coloniale en Irlande4.

Le clivage protestants unionistes contre catholiques républicains fait un peu moins recette

Mais une partie de la population d’Irlande du Nord, en particulier parmi les jeunes, ne se définit plus comme unioniste ou nationaliste, refusant les clivages confessionnels qui ont fait s’affronter plusieurs générations. Cela s’est traduit par la progression du parti Alliance d’Irlande du Nord, parti centriste qui, comme son nom l’indique, se positionne pour le dépassement des clivages confessionnels. Avec 13,5 % des suffrages exprimés, il est désormais le troisième parti représenté au Parlement et a plus que doublé le nombre de ses sièges, passant de 8 en 2017 à 17. Il a rassemblé au-delà de son électorat constitué jusque-là de la petite bourgeoisie aisée des beaux quartiers de Belfast. Il s’est même payé le luxe de battre le DUP dans une circonscription fortement unioniste de la côte.

À tout cela s’ajoute la perte d’influence dans la république d’Irlande de l’Église catholique, secouée par de nombreux scandales, ce qui joue un rôle non négligeable dans le regard qu’une partie de la nouvelle génération d’Irlande du Nord porte sur un éventuel rapprochement entre les deux parties de l’île. Le référendum de 2018 légalisant l’avortement en république d’Irlande dans ce pays où l’Église et les culs-bénis étouffaient la société aurait tout simplement été impensable il y a 25 ans. Les dirigeants unionistes d’Irlande du Nord ne peuvent donc plus utiliser ce véritable repoussoir pour maintenir la population protestante dans leur giron.

Le Sinn Fein à la recherche d’une image respectable

Quant au Sinn Fein, son recentrage est de plus en plus perceptible : selfies avec Joe Biden, absence de critiques sur le rôle de l’impérialisme américain au Moyen-Orient et ailleurs – autant de choses qui ne surprennent plus tant le Sinn Fein joue la carte américaine. Mais le discours sur la monarchie britannique, pour des gens qui se réclament d’une république, est notable. Tout a été fait au moment de la mort d’Elizabeth II pour ne surtout pas froisser les sentiments monarchistes de l’establishment britannique, notamment unioniste. Le Sinn Fein avait transmis des consignes à ses militants pour ne pas créer de remous sur les réseaux sociaux, alors même que, dans des quartiers catholiques, certains célébraient la mort de la reine. Michelle O Neill, vice-présidente du Sinn Fein et dirigeante potentielle de l’Irlande du Nord, a été invitée au couronnement de Charles III et y sera présente.

Il s’agit de rassurer les classes dirigeantes sur le caractère « raisonnable » du Sinn Fein, qui s’apprête à prendre le pouvoir en Irlande du Nord et qui est bien positionné dans les sondages en république d’Irlande.

Des problèmes communs auxquels se heurtent les deux communautés

Depuis 1998, une nouvelle génération appelée les « bébés de la paix » a grandi, moins préoccupée par les questions sur le statut de l’Irlande du Nord (Irlande unie ou maintien dans le Royaume-Uni) et plus occupée par les questions sociales et écologiques. L’Irlande du Nord connait des grèves, notamment dans l’éducation, du fait du manque de moyens dans les services publics. Ce qui risque d’être aggravé par les coupes budgétaires que prépare le gouvernement britannique en l’absence d’un gouvernement local. Le service de santé en Irlande du Nord est particulièrement en difficulté avec 6 000 patients qui attendent plus de cinq ans pour des opérations chirurgicales.

Cette situation crée des problèmes pour tous les travailleurs, quelle que soit leur « appartenance communautaire », ce qui a par exemple entraîné plusieurs jours de grève chez les enseignants.

Mais, malgré la paix fragile qui permet aussi à des jeunes de se poser ces questions d’avenir, la séparation entre les deux communautés subsiste. Les jeunes de part et d’autre des murs de séparation5 vont dans des écoles différentes, pratiquent des sports différents et ne se rencontrent pas avant l’université, voire ne se rencontrent jamais, sauf à aller dans les quelques écoles intégrées qui réunissent les enfants issus des deux communautés.

Par ailleurs, dans les quartiers ouvriers des deux communautés, ils font face à la pression de la criminalité organisée, de la pauvreté et des autres symptômes d’une misère plus accentuée qu’ailleurs au Royaume-Uni. Ainsi l’Irlande du Nord connait un taux de chômage élevé et un taux de suicide supérieur au reste du Royaume-Uni.

L’accord du Vendredi saint et son anniversaire a donc permis à quelques dirigeants impérialistes de parader pour s’auto-congratuler, mais le chômage reste élevé, les conditions de vie misérables pour toute une partie des classes populaires. Et la question nationale n’est toujours pas réglée.

Un certain nombre de jeunes cherchent à se détacher des lourdes chaînes des clivages communautaires qui n’ont réglé aucun des problèmes, ni nationaux, ni, évidemment, sociaux. Les groupes tentant de les placer sur le terrain des travailleurs sont aujourd’hui très faibles, même si l’un d’entre eux – le parti Le peuple avant le profit – a obtenu 1,4 % des suffrages et un siège au Parlement. Mais mettre en avant que le clivage fondamental dans la société est un clivage de classe est la seule façon d’ouvrir la perspective d’une réunification de l’île dans une république des travailleurs et de tourner le dos au Brexit au sein d’une Fédération socialiste des travailleurs d’Europe. Cela peut paraître une perspective lointaine aujourd’hui, mais c’est pourtant la seule qui soit porteuse d’espoir.

Joe Donovan

 

 


 

Bobby Sands, mort d’une icône du républicanisme irlandais

 

Panneau (2006, dans le Donegal) à la mémoire des dix grévistes de la faim de l’IRA et de l’INLA que Thatcher a laissé mourir entre mai et août 1981.

Le 5 mai 1981, après 66 jours de grève de la faim, mourait Bobby Sands, 27 ans, membre de l’IRA (Irish Republican Army). Né dans un quartier ouvrier de Belfast, il avait vécu la discrimination et la violence que subissaient les catholiques d’Irlande du Nord. Il avait été arrêté en 1977 pour possession d’armes. Ce membre de l’organisation armée IRA dont le but était de chasser les Britanniques d’Irlande était le commandant des prisonniers de l’IRA demandant un statut de prisonniers de guerre. Ce statut aurait permis qu’ils puissent porter leurs propres vêtements, qu’ils n’aient pas à travailler et qu’ils puissent avoir une vie politique dans la prison. Bobby Sands fut présenté par le Sinn Fein, aile politique de l’IRA, comme candidat à une élection partielle à la Chambre des communes qui eut lieu le 9 avril 1981. Il fut soutenu par l’ensemble de la communauté catholique, y compris par ceux qui refusaient la violence de l’IRA : il s’agissait de soutenir les revendications des prisonniers. Bobby Sands remporta l’élection et devint donc député. Un député en prison et en grève de la faim depuis des semaines. Le Sinn Fein avait voulu le faire élire en espérant ainsi sauver sa vie. Les Républicains irlandais n’imaginaient pas que Thatcher laisserait mourir un député élu, même si elle le qualifiait de terroriste. C’est pourtant ce qui arriva.

Certains disent que l’IRA a poussé la grève de la faim trop loin et qu’une offre avait été faite par les Britanniques qui aurait pu sauver la vie de Bobby Sands et de ses camarades ; c’est évidemment l’objet d’un vif débat. Le Sinn Fein rejette cette version des faits, avancée par d’anciens prisonniers de l’IRA qui sont devenus très critiques du Sinn Fein.

Toujours est-il que ce succès électoral permit au Sinn Fein de marquer des points et de commencer l’ascension électorale qui allait faire de ce parti le principal parti de la communauté catholique. Et permettre au « parti des terroristes » de serrer la main des présidents des États-Unis… et des rois d’Angleterre.

J.D.

 

 


 

 

Notes

1 Les étiquettes unionistes et loyalistes renvoient toutes deux aux partisans du maintien de l’Irlande du Nord au sein du Royaume-Uni. Leurs partisans se recrutent essentiellement au sein de la population protestante, en réalité une population de colons britanniques, la couronne britannique ayant toujours traité l’Irlande occupée comme une colonie. Les loyalistes se sont distingués des unionistes, dans les années 1970, par le recours à la lutte armée et la formation de groupes paramilitaires contre les partisans du rattachement de l’Irlande du Nord à la république d’Irlande. Ces derniers se recrutaient essentiellement au sein de la population autochtone, majoritairement catholique. Ces références religieuses ont largement contribué à donner au conflit l’aspect d’une « guerre de religion », alors qu’il s’agissait d’une de ces innombrables situations léguées par la politique coloniale de l’impérialisme britannique.

2 Ce parti, fondé en 1971 par le pasteur Ian Paisley, s’est caractérisé par un fondamentalisme religieux protestant, d’où une ligne dure contre les catholiques. Cela s’est manifesté par des manifestations violentes anti-républicaines dans les années 1960 et une opposition aux accords de 1998. Il a créé une branche armée, « Résistance d’Ulster ».

3 Les groupes paramilitaires loyalistes ont été créés dans les années 1960 pour maintenir par la force l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Ils ont officiellement déposé les armes à la fin des années 1990. Mais ils continuent d’exister, Ils sont très divisés entre eux et certains se sont reconvertis dans le trafic de drogue ou le racket. Mais ils continuent de se réclamer de la défense de la place de l’Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Ils ont une forte emprise sur les quartiers populaires protestants et font régner leur ordre par la violence. Ils ont recruté des jeunes et ces jeunes sont très insatisfaits de ce qu’ils perçoivent comme le rapprochement de l’Irlande du Nord avec la république d’Irlande.

4 En mai 1921, l’Irlande a été découpée en deux régions, l’Irlande du Sud et l’Irlande du Nord. Peu après, la fin de la guerre d’indépendance et le traité anglo-irlandais consacrèrent le compromis accepté par la bourgeoisie irlandaise avec la monarchie britannique sur la constitution de l’État libre d’Irlande (la constitution actuelle ne date que de 1937 et la république d’Irlande a été proclamée en 1949, mettant fin à son appartenance au Commonwealth) composé des deux régions, ce qui fut ratifié par un vote des chambres de Londres le 14 décembre 1921. Mais les dissensions au sein du camp irlandais (qui ont entraîné une guerre civile entre partisans et opposants du traité) retardèrent sa mise en œuvre au 6 décembre 1922. Dès le lendemain, l’Irlande du Nord, se détacha de l’État libre d’Irlande pour devenir une des nations constitutives du Royaume-Uni. C’était évidemment ce scénario qu’avait préparé le découpage de mai 1921, avant la fin de la guerre d’indépendance. L’Irlande du Nord comprend six des neufs comtés qui constituaient traditionnellement la province irlandaise d’Ulster.

5 Les « murs de la paix » ont été érigés depuis les années 1970 pour séparer les quartiers catholiques des quartiers protestants. Il s’agit d’éviter les affrontements intercommunautaires. Ils peuvent mesurer jusqu’à sept mètres de haut et sont pour beaucoup fermés la nuit et équipés de caméras.