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Loi Darmanin sur l’immigration : un tri des migrants au service du patronat

« Être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils », c’est ainsi que Gérald Darmanin avait présenté sa nouvelle loi sur l’immigration, qui doit être votée à l’Assemblée après celle des retraites. Le timing est bien maîtrisé : en plus d’adapter les titres de séjour aux besoins du patronat, elle servirait un contre-feu à la contestation sociale pour diviser le monde du travail en attaquant encore une fois les immigrés. D’ailleurs ce sera la 22e réforme sur ce sujet depuis 1986. Comme quoi il n’y a pas que les retraites qui sont ciblées à intervalles réguliers par les gouvernements successifs…

Surenchère xénophobe

Cette nouvelle loi n’est pas qu’un écran de fumée face à la colère sociale qui éclate. Elle va affiner la « sélection » des immigrés selon qu’ils seront utiles ou non au patronat. Et durcir la répression. Surexploiter les uns, expulser les autres… et s’offrir au passage un coup de communication raciste sur l’insécurité ou la prétendue fraude sociale des immigrés.

Les députés LR s’excitent déjà et cherchent à faire monter les enchères avec le gouvernement, pour « durcir » encore davantage ce projet de loi en échange de leurs votes à l’Assemblée et au Sénat. Mais encore plus à l’extrême droite, ce sont les 90 députés lepénistes qui vont devoir se retenir pour ne pas voter avec les macronistes. Pour l’instant, ils préfèrent s’opposer à la réforme des retraites en proposant une politique nataliste qui pue la théorie raciste du « grand remplacement » : pour financer les retraites (à 62 ans et avec 43 annuités, c’est le programme du RN), il faudrait que les femmes fassent plus d’enfants. Comme Macron, pas question pour Marine Le Pen de toucher aux bénéfices des actionnaires du CAC 40 pour réduire le temps de travail, ça doit être ça la « préférence nationale »…

Et pendant que les macronistes se familiarisent volontiers avec l’opposition « responsable » des députés RN avec lesquels ils débattent à l’Assemblée, le gouvernement se familiarise avec le programme de l’extrême droite. Sa nouvelle loi ne vise pas à éviter les drames qui se répètent chaque semaine avec les naufrages en Méditerranée ou dans la Manche. Ni à améliorer la prise en charge des migrants abandonnés à la rue en plein hiver. Ni à en finir avec le harcèlement des migrants par les policiers qui lacèrent les tentes et volent les couvertures. Au contraire.

Toujours plus de frontières

Alors que les migrants sont de plus en plus nombreux à fuir la misère et la guerre qui gangrènent le monde capitaliste, cette loi va renforcer les dispositifs de flicage et d’expulsion. Partout, la répression se durcit contre les migrants et ceux qui tentent de les aider. Pendant que l’agence Frontex refoule et torture des migrants en mer Égée, l’Italie ou la Grèce criminalisent la solidarité en confondant délibérément les passeurs et les humanitaires. De quoi rendre le ministre de l’intérieur jaloux… et le pousser à créer un « Office de lutte contre le trafic illicite de migrants », qui visera autant les mafieux qui rackettent les immigrés que les militants qui les aident.

Mais les frontières ne sont pas faites que de barbelés, elles sont aussi administratives. Dans sa version actuelle, la loi prévoit que les obligations de quitter le territoire français seront facilitées et encouragées (17 000 ont été décrétées en 2021 et une circulaire de novembre 2022 pousse les préfets à en exécuter encore plus). Mais les OQTF seront surtout moins contestables, alors que près de 50 % sont aujourd’hui suspendues par des recours. Dans les préfectures, le renouvellement des cartes de séjour sera encore plus arbitraire. Et les centres de rétention administrative seront multipliés (il y en a déjà 2000 environ).

Pour accélérer le traitement des demandes d’asile, le gouvernement prévoit aussi une réforme de la Cour Nationale du Droit d’Asile avec des procédures accélérées et des possibilités de recours réduites pour les étrangers déboutés du statut de « réfugiés ». En bref, il s’agit d’accélérer le tri, pour ne conserver que les immigrés « utiles » aux capitalistes.

Une immigration choisie par les patrons

Pour une fois, Darmanin, ministre de l’intérieur et Dussopt, ministre du travail, ont été honnêtes : sur le fond, la loi est demandée par le patronat. Les employeurs ont actuellement besoin de bras. Dans la restauration, l’hôtellerie, le BTP ou les services à la personne, les tensions sur le marché du travail donnent un certain rapport de force aux salariés. On le voit avec les grèves sur les salaires.

Face à cela, le gouvernement multiplie les mesures pour accroître la concurrence entre travailleurs et tirer les salaires vers le bas : réforme de l’assurance-chômage, des retraites, de la formation professionnelle… Mais ça ne suffit pas.

Un exemple : alors que la convention collective était en cours de renégociation, le tout nouveau patron de l’UMIH1, le cuisinier Thierry Marx, appelait le gouvernement à inscrire ce secteur sur la liste des « métiers en tension » pour faciliter l’embauche d’immigrés dans ce secteur. Car selon lui, des centaines de milliers de postes restent vacants. Ce qui n’a rien d’étonnant vu les conditions de travail…

Ces métiers « en tension » sont précisément ceux pour lesquels les étrangers ont le droit de venir travailler ; ils représentent environ 10 % des « flux » d’immigrés chaque année. Un pourcentage que le ministre du travail Olivier Dussopt veut augmenter. En réalité, quel que soit leur titre de séjour, tous ceux qui arrivent en France travaillent. Mais dans des conditions plus ou moins clandestines et précaires, car les règles d’immigration professionnelle sont si fortes aujourd’hui que la plupart déclarent d’autres motifs pour obtenir une carte de séjour.

Ce sont justement ces restrictions que le gouvernement et le patronat veulent assouplir pour mieux coller aux besoins patronaux. Les travailleurs sans-papiers ne leur suffisent plus, mais pas question de les « régulariser » complètement.

La solution : un nouveau titre de séjour pour les « métiers en tension ». Il serait encore moins protecteur que ceux qui ont cours aujourd’hui et suivrait deux logiques pour faire des travailleurs immigrés une variable d’ajustement :

  • Le titre de séjour serait conditionné à des secteurs ou des zones géographiques classées « en tension » (sur le marché du travail). Les démarches seraient simplifiées pour le patronat, avec la fin de l’autorisation administrative de travail que l’employeur doit solliciter à chaque nouveau contrat.
  • La durée et le renouvellement de ces titres dépendront du maintien ou non d’un territoire ou secteur d’activité dans la catégorie « en tension ». C’est l’administration qui décidera, selon les besoins du patronat à tel endroit ou dans telle profession.

Ces titres de séjour vont précariser les salariés avec leur durée variable, leur limitation à un type d’emploi précis et la possibilité pour l’administration de ne pas les renouveler.

Face à la contestation sur les salaires et une pénurie de main d’œuvre un peu trop favorable aux salariés, cette loi pourrait donc réduire un peu le nombre de travailleurs sans-papiers corvéables à merci… mais certainement pas pour les régulariser véritablement. C’est pour dresser les uns contre les autres, afin maintenir les salaires vers le bas et donc faire pression sur tous.

Quand une partie du prolétariat est attaquée, c’est l’ensemble qui en subit les conséquences. La preuve avec cette loi xénophobe et anti-ouvrière. Une raison de plus pour souder l’unité de classe avec les quelque cinq millions d’étrangers qui vivent, travaillent… et luttent aujourd’hui dans ce pays. Face au gouvernement qui veut nous imposer la retraite à 64 ans, refusons la division : Français ou immigrés, mêmes patrons, mêmes droits, même combat !

Hugo Weil

 

1 Le syndicat patronal de l’hôtellerie-restauration.