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Lu dans Libération. Interview d’un postier du 92

Nous reproduisons ci-dessous une interview publiée dans Libération.

Lire aussi le communiqué du NPA du 10 janvier 2023.


 

Sébastien Baroux, postier dans les Hauts-de-Seine : «On est devenus des livreurs»

Militant SUD, le salarié francilien regrette auprès de «Libération» les conséquences de la fin du timbre rouge et de la réorganisation de la Poste, avec la menace d’un plan social à venir.

«Dans les Hauts-de-Seine, on est dans un territoire où les postiers sont particulièrement combatifs», assure Sébastien Baroux.

par Damien Dole, publié le 6 janvier 2023 à 20h34

 

On a rencontré Sébastien Baroux près de la Poste de Colombes (Hauts-de-Seine). Il était presque 8 heures et déjà les camionnettes jaunes avaient commencé leur ballet, déjà des facteurs étaient à l’œuvre depuis plusieurs heures à l’intérieur de l’agence. Militant SUD PTT 92, ce grand gaillard travaille à Gennevilliers mais il est là en «intervention syndicale» pour aider l’un de ses collègues. Lunettes vissées sur le nez et long manteau bleu marine de postier, il déroule une parole toujours précise et parfois on sent une colère contenue à grand-peine devant l’évolution de son métier. On lui a demandé ce que signifie la fin du timbre rouge, pour les salariés comme pour les usagers, et dans quoi cette réorganisation s’inscrit pour les missions de la Poste.

«C’est une blague»

«La direction n’a pas communiqué en interne sur la fin du timbre rouge. Depuis plusieurs mois, on s’est en revanche aperçu qu’ils zappaient les instances représentatives du personnel et qu’ils testaient à certains endroits la distribution un jour sur deux. Mais à Gennevilliers, on a juste vu le 2 janvier qu’ils avaient changé les étiquettes pour l’envoi du courrier à affranchir pour prendre en compte ce changement de timbres.

«Ce changement va avoir pas mal de conséquences. En J+1, le lundi, tu postes une lettre, le facteur l’a, en théorie, le mardi matin dans ses bacs, il trie sa tournée et va la distribuer. En J+3, il y a moins d’intérêt à faire une tournée tous les jours chez les usagers mais plutôt d’en faire une le lundi et d’en faire une autre, dans des endroits différents, le mardi. Et donc au lieu d’avoir deux facteurs qui s’occupent des tournées, tu peux alors en avoir un seul qui est chargé des deux et donc réduire les effectifs.

«Dans certains pays européens, comme en Italie, les facteurs ne passent déjà plus tous les jours. C’est une organisation qui pourrait se discuter mais là, il va y avoir deux arnaques. Déjà, le courrier n’a pas diminué par deux du 31 décembre 2022 au 1er janvier 2023, donc le facteur va au début avoir deux jours de boulot sur chaque tournée. Et, deuxièmement, cela va entraîner un énorme plan social qui ne dit pas son nom. Or la Poste doit déjà être l’entreprise, le service public ou l’administration, qui a le plus dégraissé depuis quinze ans.

«Les usagers vont aussi y perdre. La Poste met en avant l’écologie ou le mode de consommation d’utilisation du service public qui change. Mais pour des tarifs similaires, un courrier était distribué en un ou deux jours alors qu’il le sera essentiellement en trois jours désormais. Qui accepterait ça pour tout autre produit ? Quant à la e-lettre rouge, c’est une blague. De manière générale, tout est fait pour que les gens n’écrivent plus.

«Créer du lien»

«Notre temps de travail n’est pas totalement connecté au nombre de lettres ou de choses à distribuer. D’ailleurs, notre temps de travail, c’est quoi ? Sortir de notre centre de distribution et aller devant les maisons ou les halls d’immeubles ; ouvrir des portes ; sortir le courrier de la sacoche, du chariot, tout ce temps-là est incompressible.

«Dans les Hauts-de-Seine, on est dans un territoire où les postiers sont particulièrement combatifs. Donc on a réussi à bloquer, par les grèves, des réorganisations lors desquelles on séparait les préparateurs, qui trient le courrier pour plusieurs tournées, et les distributeurs, qui font une tournée le matin et une autre l’après-midi. Donc les travailleurs avaient le choix : devenir préparateur pour garder les horaires du matin mais ne plus sortir, ou bien continuer à voir les usagers mais faire plusieurs tournées et passer sur des horaires plus classiques. Or, on est historiquement un métier du matin. Mais je ne crois pas au village gaulois, et peut-être que cela ne durera pas éternellement. Mais on continuera de se battre.

«On est une entreprise, une multinationale. Ce n’est plus la poste de Jacques Tati ou de Bienvenue chez les Ch’tis. Cela ne veut pas dire que cette Poste-là est totalement morte, elle existe encore à certains endroits, plus en province qu’en région parisienne. On a encore un certain rôle, et dans ces endroits-là la réforme du timbre rouge fera encore plus mal. Mais la culture du service public disparaît dans la haute hiérarchie du groupe. Les lettres, à leurs yeux, c’est un stock, ça arrive le matin, il faut que ça ait disparu le soir. On n’est plus des postiers, on est devenus des livreurs.

«Pourtant, quand tu passes tous les jours dans une ferme, dans un hall d’immeuble, dans un bar-tabac ou une pharmacie, tu crées des liens. Les gardiens d’immeubles, ce sont des collègues à mes yeux par exemple. On a une contrainte bienveillante des usagers. En vérité, comme dans les hôpitaux avec les infirmières, le service public dans la Poste ne tient plus que grâce à ses postiers.»