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Mayotte : une campagne néo-coloniale de stérilisation ciblant les Comoriennes

L’opération policière « Wuambushu » a débuté le 24 avril dernier à Mayotte (océan Indien) pour expulser les sans-papiers vivants sur l’île (principalement des Comoriens et Comoriennes) et détruire leurs habitations précaires. Aux méthodes militaires de « décasage » de bidonvilles, le gouvernement ajoute une politique de contrôle des naissances, un classique de la gestion coloniale de la « surpopulation » dans les « outre-mer ».

Héritage de l’empire colonial, Mayotte est le département français le plus pauvre : environ 80 % de la population locale vit sous le seuil de pauvreté, et les sans-papiers représentent presque la moitié de la population (48 %). L’île connaît un taux de fécondité plus de deux fois supérieur à la moyenne nationale1 alors qu’une crise de l’accès à l’eau s’amplifie, sur un territoire déjà peu doté en services publics, ce qui a inévitablement mené à davantage de tensions sociales. Au lieu de déployer un plan permettant de développer l’accès aux soins et à la contraception, de mieux répartir les ressources et les densités de population, l’État précarise davantage les femmes étrangères, qui ne pourront bientôt plus bénéficier des services liés à la protection maternelle infantile (PMI), qui fournit pourtant un accès à la contraception et un suivi gynécologique. D’autant plus que l’aide médicale d’État (AME), qui est habituellement dédiée à la prise en charge des soins des personnes sans-papiers, ne s’applique pas à Mayotte. Pire encore : face à une situation d’extrême tension au centre hospitalier de Mayotte2, les femmes étrangères sont « incitées » à se faire ligaturer les trompes. Olivier Brahic, directeur de l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte, déclarait le 24 mars dernier : « Je n’aime pas beaucoup ce terme mais c’est cela : on va proposer aux jeunes mères une stérilisation, en clair on leur proposera de leur ligaturer les trompes. » Les femmes étrangères sont certes celles qui font le plus d’enfants à Mayotte, mais cette politique accrédite l’idée que l’accroissement des violences et des vols serait lié à un problème purement démographique, dont la responsabilité incomberait aux sans-papiers qui feraient trop d’enfants. Cela alors que, contrairement à ce que sous-entend l’ARS qui présente la stérilisation comme un dernier recours face à une « catégorie de population3 » qui n’y serait par essence pas réceptive, le financement des services publics de santé et de la PMI a toujours été très insuffisant sur l’île.

Bien que la situation à Mayotte ait ses particularités, cette politique s’inscrit dans une constante historique de la gestion par l’État de la reproduction biologique dans les territoires dits d’« outre-mer » : dans les années 1970, alors qu’en métropole la natalité était promue (et l’interruption volontaire de grossesse (IVG) interdite jusqu’en 1975 !), des milliers de femmes subissaient des avortements ou stérilisation forcés à la Réunion4. Aujourd’hui, même si les politiques d’austérité ont réduit les budgets pour les services publics, la politique sociale en métropole est toujours combinée à des objectifs d’encouragement de la natalité, pour favoriser la reproduction de nouvelles générations de travailleurs et de travailleuses. Par ailleurs, peu de moyens sont déployés pour faire face à la pénurie de misoprostol permettant la réalisation des IVG médicamenteuses. De l’autre côté, les pouvoirs publics entravent l’accès à la maternité pour les femmes dans les « outre-mer » lorsque la croissance démographique est jugée trop élevée. Au-delà du caractère sexiste de la stérilisation des femmes et non des hommes, cette constante relève d’une logique non avouée de contrôle raciste et nationaliste des équilibres démographiques : la croissance démographique est davantage perçue comme un danger quand elle concerne les colonies.

Le mouvement féministe ne doit donc pas en rester à un universalisme abstrait, qui, en se concentrant sur « les droits », demeure aveugle tant aux différences de classe qu’aux politiques racistes qui touchent les femmes immigrées. Nous savons que ce gouvernement n’est pas du côté des femmes et qu’il défendra uniquement les mesures « féministes » qui restent compatibles avec les intérêts de la classe dominante. Nous devons combattre avec la même force l’intervention contrainte sur le corps des femmes comme leur abandon sans moyen suffisant pour assurer leur santé, arracher au gouvernement et contre lui des mesures d’urgence pour les femmes de notre classe.

Claire Broussi


 

1 1,8 enfant par femme en moyenne nationale, contre 4,6 enfants par femme en moyenne à Mayotte.

2 Seul hôpital de l’île, dont la maternité est celle qui comptabilise le plus grand nombre de naissances en Europe.

3 Le directeur de l’ARS déclarait également : « Il faut qu’on modifie notre communication […] : ces deux ou trois dernières années, on avait lancé une campagne sur la contraception qui effectivement n’est pas percutante pour cette catégorie de population. »

4 Françoise Vergès, Le Ventre des femmes. Capitalisme, racialisation, féminisme, Albin Michel, 2017.