Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Mediator, un crime chimiquement pur, bande dessinée d’Éric Giacometti et Irène Frachon, dessins de François Duprat

Delcourt, 2023, 200 p., 23,95 €

Le procès des laboratoires Servier se poursuit actuellement devant la Cour d’appel de Paris. L’an dernier, en première instance, ils avaient été reconnus coupables de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » pour avoir commercialisé un médicament coupe-faim et anti-diabétique, le Mediator, qui avait entrainé des malformations cardiaques conduisant parfois à la mort d’un nombre de patients estimé entre 1 000 et 2 000.

C’est en 2007, au CHU de Brest où elle travaille, que de nombreux cas d’atteintes cardiaques inexpliquées avaient attiré l’attention de la pneumologue Irène Frachon. Ses recherches mettaient en cause le Mediator. S’ensuivit alors une enquête de longue haleine qui dura plusieurs années, Servier utilisant toutes les ficelles procédurières pour faire traîner les choses.

Cette femme médecin a eu l’idée de raconter cette quête de la vérité sous la forme très accessible au grand public d’un album de bandes dessinées. Elle rappelle d’abord que le principe actif du Mediator avait déjà été utilisé par Servier dans un autre médicament, l’Isoméride, qui avait déjà provoqué des accidents et avait été retiré du marché en 1997. Ce qui n’avait nullement empêché Servier de récidiver en niant tout lien entre les deux produits.

Au-delà du déroulement de l’enquête elle-même, qui est souvent passionnante, Irène Frachon et Éric Giacometti, ancien journaliste qui avait couvert le scandale vite étouffé de l’Isoméride, suivent aussi deux autres pistes : celle des victimes, souvent abandonnées, et celle de l’histoire de ce laboratoire, symbole même de Big Pharma, qui pensait avant tout à accumuler les bénéfices, fût-ce au détriment de la santé de celles et ceux qui faisaient confiance à ses produits.

Pour se faire reconnaitre comme telles, les victimes durent souvent affronter une armée d’avocats et de médecins rémunérés par Jacques Servier (aujourd’hui décédé) qui n’hésitaient pas à affirmer qu’elles mentaient, racontaient n’importe quoi et étaient peu crédibles. Mais, en plus d’hommes de science et de maîtres du barreau, Servier avait à sa botte un certain nombre de revues et journaux médicaux qui vivaient en grande partie de sa manne publicitaire. Il avait aussi des accointances dans les organismes chargés de surveiller la sécurité des médicaments. De plus, il entretenait les meilleures relations avec le monde politique, les différents ministres de la Santé, de droite comme de gauche, et les présidents de la République successifs, ce qui lui valut, au cours des ans, une pluie de décorations, de la Légion d’honneur à l’ordre du Mérite. Un exemple, parmi d’autres, d’une société gangrenée par l’argent et la corruption.

Dès que le récit devient un peu ardu, notamment au niveau des termes scientifiques et des notions de médecine, apparait Hippocrate, le légendaire médecin de la Grèce antique, symbole même de l’éthique médicale. Sous forme d’un petit bonhomme en toge, il vient au secours du lecteur pour lui expliquer de quoi il s’agit. Par exemple, pour faire comprendre l’histoire et les effets des amphétamines, il se réfère tour à tour aux soldats allemands durant la Seconde Guerre mondiale, à Jean-Paul Sartre, Jack Kerouac, Françoise Sagan, Miles Davis et au « King », Elvis Presley. Autant dire que l’on ne s’ennuie pas.

Une seule (petite) réserve : à la fin de l’ouvrage est reproduit le texte d’une pétition que le lecteur est appelé à signer afin de retirer à Jacques Servier et à titre posthume, la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur. Ce genre de combat, autour des breloques décernées par la république bourgeoisie reconnaissante à ceux qui la servent bien, est un peu ridicule et n’est pas exactement notre tasse de thé.

Mais, cela mis à part, c’est un livre à mettre en toutes les mains.

Jean Liévin