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Parcoursup : la fabrique de l’exclusion et de la privatisation du supérieur

C’est reparti pour un nouveau parcours du combattant version 2023. Depuis le 18 janvier, pour accéder aux études supérieures, les élèves doivent formuler des vœux sur la plateforme Parcoursup. L’université n’ouvre plus ses portes à tous les bacheliers, comme les masters n’ouvrent plus leurs portes à tous les titulaires d’une licence, il faut en passer par un tri, aussi stressant qu’inégalitaire.

Du service public au secteur privé

Alors qu’il y a 300 000 étudiants de plus qu’à la mise en place de la plateforme, le gouvernement, plutôt que de mettre des moyens humains et matériels dans l’enseignement supérieur public, a fait le choix de trier les élèves, surtout dans les filières en tension, comme le droit, Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives) ou la médecine, alors même que les médecins manquent partout. Faute de places en nombre suffisant, il y avait déjà une sélection dans ces licences avant Parcoursup, mais celle-ci se faisait par tirage au sort… ce qui révoltait une bourgeoisie dont les rejetons voyaient leur brillante carrière de médecin ou d’avocat soumise aux mêmes aléas que les classes populaires. Mais il apparaît qu’une des conséquences de Parcoursup est d’avantager le privé au détriment du public. Non seulement la sélection opérée dans les universités publiques, faute de place, en conduit nécessairement d’autres à se tourner plus massivement vers l’enseignement privé, mais en plus la procédure longue, laborieuse et angoissante de Parcoursup pousse certains étudiants vers des écoles privées hors plateforme. Selon le journal Les Échos, les effectifs globaux du privé ont progressé de plus de 10 % en un an, bien plus que dans l’enseignement public (+0,3 %). L’augmentation était de 5 % entre 2019 et 2021. Les établissements privés accueillent 24,8 % des effectifs du supérieur1, c’est plus du double qu’il y a 20 ans.

À grand renfort de publicité et de mensonges, les écoles privées qui recrutent hors plateforme surfent sur le marché de l’anxiété créé par la plateforme en vendant de la « sérénité » et de « l’employabilité ». Sans qu’on puisse vérifier les informations mises en avant, elles assurent être compétitives sur le marché du travail, avoir des partenariats intéressants avec des grands groupes et former à des masters ou des doctorats sans en avoir été habilitées.

Autre conséquence de cette jungle, des boites de coaching, aux prestations juteuses, se sont développées pour aider à la constitution des dossiers. Elles pullulent d’autant plus que les critères d’entrée sont opaques et changent d’une année sur l’autre. Une des aberrations de ces candidatures infernales consiste à faire écrire et réécrire des lettres de motivation qui ne seront jamais lues, par manque d’enseignants dans les commissions, mais qui donnent à Parcoursup un visage faussement plus humain. L’État lui-même remplit directement les poches du coaching privé avec un onglet spécifique sur la plateforme faisant accéder à des services payants qu’il a délégués pour l’occasion. Les professeurs principaux guident autant que faire se peut, mais demeurent débordés et sans une connaissance suffisante de toutes les formations, eux-mêmes n’étant pas formés sur la question. Les familles aisées sont celles qui s’en sortent le mieux, comme avant, mais Parcoursup aggrave indubitablement le phénomène et fait porter sur les classes populaires la responsabilité de leurs « choix » et donc de leur échec.

Exit les classes populaires

Chaque été, des dizaines de milliers d’élèves n’ont toujours rien obtenu (mi-juillet 2022, 94 000 élèves n’avaient encore que des « refus »). C’est bien sûr accentué chez les élèves qui viennent de lycées populaires et dont les parents connaissent très mal les rouages de la réforme du lycée qui suppose de faire des choix stratégiques dès la fin de la seconde. Une partie va alors combler les trous des filières les moins demandées, ce qui explique la communication abusive du gouvernement sur le fait que les étudiants ont finalement une place, mais une place contrainte qui ne correspond pas à leurs vœux disciplinaires ou géographiques. Pas étonnant qu’ils « échouent » ensuite, jusqu’à sortir assez rapidement du système universitaire. Pour les autres « refusés », étant donné la galère pour trouver un logement dans les grandes villes, ou même une chambre universitaire puisque les délais sont passés, chaque été, ils abandonnent tout bonnement la procédure pour aller grossir les rangs des chômeurs ou des travailleurs précaires. Issus de milieux modestes, ils n’ont en effet que très peu les moyens de demander une école privée hors Parcoursup l’été, à moins de s’endetter durablement.

Le dossier Parcoursup : un dévoiement de l’engagement

La pression est telle pour sortir du lot et valoriser son dossier que l’institution en profite pour vendre aux élèves la fonction de délégué de classe, d’éco-délégué ou encore mieux le SNU (service national universel) comme un gage d’engagement citoyen. Le rôle de délégué de classe, qui devait former les élèves au porte-parolat et faire de l’école une antichambre de la démocratie bourgeoise, devient maintenant pour les élèves un moyen individualiste de tirer leur épingle du jeu. Plutôt déstabilisant de voir tout à coup la moitié de la classe se porter candidate et se mettre dans tous ses états lors des résultats. Car il n’y a que quatre élus (titulaires et suppléants) !

Les conséquences du SNU sont encore plus inquiétantes. Faute de trouver assez de volontaires à enrôler sous les drapeaux tricolores, le SNU utilise le chantage de Parcoursup pour recruter. Vous voulez faire des études supérieures, chantez d’abord la Marseillaise et acceptez quelques brimades républicaines ! Bien sûr ce n’est pas la même chanson pour les AG ou les blocus, pourtant formateurs ! Parcoursup et la réforme du lycée constituent même de redoutables moyens pour éloigner les élèves des mouvements sociaux. Entre la pression sur les absences et les évaluations constantes qui comptent dans le dossier, il est clairement plus difficile pour les élèves, sans soutien des enseignants, de prendre le risque de se mobiliser. Cela étant, le report du SNU obligatoire pour tous les élèves, qui devait entrer en vigueur en janvier dernier, montre que le gouvernement a peur que la jeunesse rejoigne massivement le mouvement actuel contre la réforme des retraites.

La sélection à tous les étages

Le passage du lycée au supérieur n’est pas le seul concerné par la sélection : depuis une réforme de 2017 renforcée en 2021, elle abat aussi son couperet pour ceux et celles qui ont validé une licence et qui sont pourtant triés sur le volet pour accéder à un master dans lequel les places sont limitées de manière drastique. C’est aussi contre ce nouvel entonnoir qu’ont lutté l’année dernière les étudiants « sans fac » de Nanterre avec nos camarades encore sous le coup de la répression de la présidence de l’université. C’est bien le manque organisé de capacités d’accueil qui opère une sélection entre ceux qui ont le droit d’étudier et ceux qui ne l’ont pas. Quand les enseignants du supérieur refusent de trier, ils sont mis sous pression puisque leurs moyens n’augmentent pas. Il faudrait un mouvement incluant élèves, parents, enseignants du secondaire et du supérieur pour venir à bout de cette pénurie et de cette ségrégation sociale. Si des années 1950 à 1980, il y a eu une forte demande en cadres, ingénieurs et techniciens qui a poussé les gouvernements à ouvrir l’université, la situation économique a bien changé aujourd’hui et la bourgeoisie ne voit pas d’intérêt à ce que des jeunes qui occuperont des emplois peu qualifiés « perdent » leur temps à la fac. Nous pensons au contraire que celle-ci peut être un lieu d’émancipation et de politisation et que la culture la plus vaste doit être accessible à tous et toutes.

Barbara Kazan


1 https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/la-france-compte-3-millions-detudiants-1780209