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Réanimation pédiatrique au CHU de Bordeaux : une grève victorieuse, et encore tant à gagner !

Cette semaine s’est achevée la grève de l’équipe paramédicale du service de réanimation pédiatrique du CHU de Bordeaux, après près de trois mois de lutte. Les grévistes ont décroché une bonne partie de leurs revendications : un mois de formation minimum pour les nouvelles soignantes, un poste de puéricultrice supplémentaire, ainsi qu’une auxiliaire de nuit. Premières victoires qui donnent confiance pour la suite !

Une grève majoritairement suivie depuis décembre…

Depuis le 26 décembre 2022, la quasi-totalité de l’équipe paramédicale du service de réanimation et des soins intensifs pédiatriques du CHU était en grève : puéricultrices, assistantes puéricultrices, infirmières et aides-soignantes. L’élément déclencheur : des horaires de travail devenus plus malléables, entraînant parfois un enchaînement entre travail de jour et de nuit avec peu d’intervalle de repos. Un rythme éreintant, rajoutant à l’épuisement des soignantes. Mais ce n’est que la goutte qui a fait déborder un vase bien rempli, depuis des années. « On s’est battu surtout pour nos patients », explique une puéricultrice du service. Car en vingt ans d’exercice dans le service, elle a vu les conditions de travail et de prise en charge se détériorer progressivement. Entre le manque de personnel et de formation, la qualité de la prise en charge des enfants (et de leur famille) ne tient qu’au travail remarquable des soignantes. « On prend sur nous, et sur notre temps pour rester un peu plus dans la chambre de l’enfant, pour discuter avec les parents et les rassurer, même si c’est très compliqué. » Mais le dévouement a ses limites : celles de l’épuisement collectif, des burn-outs, des soins à la chaîne… Sans parler des salaires, gelés depuis des années, malgré l’inflation grandissante.

… pour lutter contre des conditions de travail dégradées

En raison du sous-effectif chronique, notamment, les soignantes doivent assurer des soins de plus en plus complexes dans des conditions dégradées. « Aujourd’hui […] on met en place plein de choses pour améliorer la prise en charge et le vécu des enfants, et on y arrive malgré tout. Et en même temps les conditions de soin se détériorent, on a de moins en moins de temps à dédier à nos soins et aux patients, on se retrouve seule pour des soins qui s’effectuent normalement à deux… », raconte une gréviste. Contraintes d’effectuer les soins dans des conditions matérielles dégradées, elles alertent leur hiérarchie depuis des années sur le manque criant de personnel. « On sait quels sont les besoins du service. »

Le sous-effectif n’est pas sans effet sur la formation des jeunes soignantes intégrant le service. Dans un service où les soins et les gestes sont très techniques, et la prise en charge complexe et polyvalente, ce temps de formation est indispensable. Un décret requiert d’ailleurs au moins trois mois de formation pour exercer dans un service de réanimation. Mais avec le manque de personnel, les nouvelles arrivantes doivent combler les trous du planning et exercent seules après dix ou quinze jours de formation et de suivi seulement… De quoi engendrer un stress énorme pour les soignantes – ce qui, en retour, ne manque pas d’aggraver le turnover dans le service. « On a perdu beaucoup de jeunes a causes de ce manque de formation », souligne une soignante.

Les grévistes revendiquaient donc une formation de trois mois minimum, conformément au décret existant. Mais les revendications ne s’arrêtaient pas là : élaboration d’un planning plus régulier, postes supplémentaires de nuit, revalorisation du travail de nuit… Un poste supplémentaire le jour à l’accueil était également exigé, afin de s’occuper de toutes les tâches que les soignantes prennent en charge comme elles le peuvent entre deux soins : soutien des parents, accompagnement de la famille lors d’un décès, sécurité du service… Un poste particulièrement important pour les grévistes : « on ne voulait pas lâcher, c’est ce qui nous a fait tenir trois mois. »

Des moyens il y en a, quand il s’agit de contrer la grève !

La direction a su jouer sur ces revendications pour tenter de diviser l’équipe. « Au départ on était très solidaires, et la direction a lâché bribe par bribe : au début seulement un poste supplémentaire de puéricultrice, mais pas d’assistante puéricultrice […], ça a créé quelques tensions. » Mais les grévistes ont su rester soudées, avec près de 80 % de l’équipe en grève pendant deux mois.

La direction a également dépensé plus de 50 000 euros de frais d’huissiers pour assigner les sgrévistes. Un montant bien supérieur à une année de salaire pour une puéricultrice à temps plein ! Mais la direction a préféré consacrer cette somme aux assignations, histoire de rendre la vie impossible aux grévistes, et surtout d’empêcher qu’elles s’organisent. « Une trentaine de personnes travaillent le jour, une trentaine la nuit, et à côté de ça, et de la grève, la vie aussi continue, c’est difficile à gérer. En plus avec les assignations, on a l’impression d’avoir très peu de poids, puisqu’on continue de travailler », explique l’une d’elles. Dans ces conditions, difficile de se retrouver en réunion pour discuter de la grève, d’organiser des rassemblements pour se faire entendre. Malgré les difficultés à trouver du temps libre, en plus du boulot, les grévistes ont réussi à organiser un rassemblement au niveau du rond-point de l’hôpital Pellegrin, en janvier. « Il y a eu beaucoup de discussions, certaines y croyaient plus que d’autres. Mais on n’avait pas beaucoup le temps de se réunir, de se convaincre. » Pour la plupart des travailleuses du service, c’était une première grève, et même une première expérience militante, puisque seulement cinq ou six soignantes étaient syndiquées, sur une centaine. Expérience menée jusqu’au bout : lors des négociations avec la direction, elles se sont organisées pour envoyer une délégation de grévistes, en plus de leurs soutiens syndicaux, afin de décider elles-mêmes de leur grève.

Une victoire après trois mois de lutte

Malgré ces conditions compliquées, la lutte a tenu trois mois, malgré une diminution progressive du nombre de grévistes. « Si on a tenu si longtemps, c’est vraiment qu’on se bat pour une meilleure prise en charge des patients, c’est ce qui nous motive le plus », témoigne une gréviste. Une détermination qui a payé puisqu’au final, elles ont obtenu un mois de formation minimum pour les nouvelles soignantes (au lieu des trois demandés…), un poste de puéricultrice supplémentaire et un poste d’auxiliaire de nuit. Mais pour le poste supplémentaire à l’accueil tant espéré, et la revalorisation du travail de nuit, la direction n’a pas lâché.

Si le refus de la direction de céder le poste d’accueil a laissé un goût amer pour certaines, ces mois de lutte ont changé bien des choses : conscientes que ce sont elles qui font tourner leur service, les soignantes savent aujourd’hui qu’elles peuvent s’imposer face une hiérarchie qui prétend en savoir plus – et mieux – qu’elles.

La lutte envoie aussi un message clair à tous les collègues : il n’y a rien à attendre de la part de la direction qui ne pense qu’à faire tourner l’hôpital avec le moins de moyens et de personnel possible. Seules les luttes des soignantes et soignants eux-mêmes peuvent améliorer les choses !
« On avait vu les sages-femmes du CHU lutter il y a deux ans, et obtenir des choses, alors on se dit que c’est possible, et d’autres services se disent la même chose en nous voyant », explique l’une des grévistes. Leur grève a déjà trouvé un écho, notamment dans les autres services de pédiatrie (néonatalité, cardiologie…), où les difficultés rencontrées par les soignantes sont extrêmes. Et l’inspiration se trouve aussi ailleurs : à l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis, après 42 jours de grève démarrée aussi fin décembre, les soignantes du service de réanimation néonatale ont arraché plusieurs mesures indispensables, demandées depuis des années (dont le respect du ratio soignant/bébé, des embauches supplémentaires, une majoration des heures supplémentaires effectuées…).

L’offensive est générale : il faut y répondre ensemble

Bien que les problèmes rencontrés en pédiatrie, et à l’hôpital en général, soient tous liés, la coordination entre les services reste compliquée. Pourtant un mouvement généralisé aurait tout son sens, puisque malgré les spécificités liées aux différents services et à leurs exigences, les problèmes sont globalement les mêmes. Le manque de personnel, les conditions de travail dégradées et les bas salaires entraînent des fermetures de lits voire de services entiers, ce qui empêche le rétablissement et le suivi correct des patients, engorgeant ainsi d’autant plus les services d’urgence et de réanimation, qui sont eux-mêmes tout près de craquer…

Les directions hospitalières n’auraient soi-disant pas le choix : partout on manque de personnel, on est obligé de fermer des lits, l’hôpital public n’est plus « attractif », il n’y a pas assez d’argent… Pourtant l’hôpital tient encore, difficilement, aux bras des soignantes et soignants qui se dévouent et s’épuisent, et qui savent bien ce qu’il faut mettre en place pour inverser le cours de cette catastrophe préparée.
Comment rendre l’hôpital plus attractif ? Déjà en augmentant les salaires, qui sont bien trop bas ! Et fini les plannings pourris, les jours de RTT sucrés sans préavis… Et s’il manque des soignants pour travailler dans de bonnes conditions, c’est qu’il faut embaucher, et former plus ! Des mesures que les soignantes et soignants ne pourront arracher que par leur lutte.

Notre société déborde de richesse ; il n’y a qu’à voir les profits record et les aides publiques généreuses que les patrons empochent chaque année, ou encore le budget monstrueux alloué à l’armée par Macron… À côté de cela, le gouvernement resserre la vis pour l’hôpital, l’éducation, les salaires… et les retraites. Toutes ces questions sont liées, surtout quand on sait que les métiers du soin sont mal rémunérés, et particulièrement délétères pour la santé. Aujourd’hui, les aides-soignantes et les infirmières font partie des six métiers les plus touchés par les accidents du travail, et ce d’autant plus que les soins s’effectuent en sous-effectif. Alors bosser jusqu’à 64 ans ou plus dans ces conditions, ce n’est pas possible. Accumulons les expériences de grève, et c’est par un mouvement de grève généralisé de l’hôpital que les travailleuses et travailleurs de la santé pourront inverser le rapport de force !

Nora Kilal