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SNCF Melun, note d’ambiance : « Qu’est-ce qu’on veut ? On veut gagner »

Les cheminots de la gare de Melun s’étaient donné rendez-vous en assemblée générale ce vendredi. À 10 heures, les collègues continuent d’arriver. Une majorité de roulants du secteur, mais aussi de Corbeil et des collègues sédentaires s’offrent mutuellement des cafés. Beaucoup discutent de la manifestation de la veille et de l’irruption de la jeunesse dans le mouvement ; et aussi de l’allocution de Macron, qui n’a pas apaisé les choses, c’est le moins qu’on puisse dire. À 10 heures 20, une corne de brume sonne dans la salle des machines à café pour appeler les grévistes dehors : « On va commencer ! »

L’AG commence, comme d’habitude, par les positions syndicales. Oui, la manifestation d’hier était énorme. Ça ne donne pas envie d’arrêter. D’un autre côté, des informations sont arrivées d’autres dépôts proches, notamment celui de Corbeil, où des collègues ont repris. Être seuls en reconductible, est-ce que ça un sens ? C’est vrai qu’il vaudrait mieux ne pas lâcher. Continuer le mouvement, mais comment ? On ne veut pas laisser gagner le gouvernement. Mais c’est à l’AG de décider.

Puis, comme d’habitude, avant de passer aux votes, la formule rituelle arrive : « Est-ce que quelqu’un veut prendre la parole ? » Mais cette fois, les votes attendront.

« – Les syndicats ont décidé mardi, c’est bien. Mais après, qu’est-ce qu’ils vont dire ? Si on reconduit mais que les autres restent sur des journées d’action… On se pose tous la même question : comment ne pas être seuls et perdre le plus ?
– On n’est pas tout seuls, hier on l’a bien vu. On a vu la colère dans le cortège, et de nouvelles professions dans la lutte. Il y a les raffineurs dans la bagarre. Et pour ce qu’ils disent des chiffres, c’est clair, Darmanin ne sait pas compter. Donc à Melun, on peut avoir une réputation de têtes cramées. Mais cette fois, personne ne pourra dire qu’à Melun on fait n’importe quoi à rester tout seuls en grève après les autres. On ne fait pas n’importe quoi. On ne veut pas de la réforme, et on n’est pas tout seuls. Pourquoi on n’est pas capables de penser qu’on va gagner ? La question qu’il faut qu’on se pose, c’est ce qu’on veut. On veut gagner.
– Qu’est-ce qu’on envoie comme message si on ne fait que les temps forts ? Il faut faire plus, aller dans la rue, croiser les gens en manif, discuter.
– Mais dans la manif d’hier, ça n’était pas que des grévistes…
– Hier à la gare de Lyon, le blocage des voies c’était avec d’autres grévistes. On n’est pas seuls. Être en reconductible, ça permet de faire les actions, et d’être dans une dynamique. Ça permet d’aller voir les autres, de se convaincre. »

Les échanges sont interrompus par l’arrivée d’une camionnette. Ce sont des gilets jaunes qui apportent en soutien des vivres : pastèques énormes, régiments de bananes, chou chinois et cabillaud. « Il faut se soutenir ! » L’AG reprend.

« – Approchez vous, allez.
– Lui, il ne parle pas souvent, mais quand il parle il a réfléchi.
– Rapprochez-vous ! Voilà. Moi, je suis comme vous tous. Tiraillé entre la raison et le cœur. On entend des trains qui roulent. En AG cheminote, ça fait mal. Mais on ne peut pas non plus fermer les yeux sur ce qu’on voit, sur toutes ces images de grève. L’essence commence à se vider. Ça n’est pas le moment de reprendre. Hier ça a donné de la force à tout le monde, mais imaginez les titres des journaux : Les cheminots quittent le mouvement. On ne va pas leur faire ce plaisir. Il ne faut pas arrêter là. On est près de la ligne, ils reculent, ils font des fautes. Il ne leur reste que la violence et les mensonges à la télé. Moi, je ne reprendrai pas, parce qu’on est près de marquer. Mais soit on les fait reculer, soit ils vont nous piétiner encore plus après, avec les lois sur l’immigration, et encore la dégradation des conditions de travail.
– On dit que la grève commence à se faire sentir. Mais en 2019 on avait fait 60 jours ! Et là, on va arrêter alors qu’hier c’était la plus grosse journée ? Oui c’est vrai, nos AG ne sont pas si grosses. Mais on n’a pas le droit de perdre. Comment gagner le combat sans aller à la guerre ? Dans les six nations, on a battu les Anglais, alors pourquoi pas Macron ?
– Vous ne me voyez pas souvent sur le piquet, 6 heures c’est dur. (Un « fainéant ! » bon enfant fuse de l’AG et fait rire tout le monde.) Mais je voulais dire un truc. Ils ont une pression de dingue. Pendant les gilets jaunes, c’était une fois par semaine et à Paris, et déjà ils avaient du mal. Là, c’est tous les soirs et partout. Ils vont craquer. Sur les 12 000 flics envoyés à Paris, ils disent qu’il y en a 500 par terre. Ils ne vont pas tenir longtemps. (« – Si chacun en prend un, on est bons ! ») Tous les soirs ils sont au charbon. Dans toutes les villes. Ça n’a pas de sens d’arrêter. Même les médias n’osent pas parler de prise d’otages, comme ils font d’habitude pendant les grèves. Tous appuient sur la responsabilité de Macron. Jusqu’à mardi, il faut garder la pression.
– Le gouvernement est en train de radicaliser la population. Les médias parlent de violence contre la police ? Mais on a tous vu les images de petits vieux ou de petits jeunes qui se faisaient frapper ou gazer, alors qu’ils ne pouvaient pas s’échapper et qu’ils ne faisaient rien. Il y a une radicalisation, un tournant dans le mouvement.
– Ça va péter !
– On a toujours l’opinion publique avec nous. La plupart du temps, les gens préfèrent l’ordre au désordre. Mais là, tout le monde voit bien que c’est ceux d’en haut les responsables du bordel. Et il devrait tenir quatre ans encore ?
– Comme on veut couper des têtes, il a fait venir un autre roi, d’Angleterre ! »

Les grévistes se sont convaincus mutuellement. « C’est bon, on passe aux votes ? » Dans un bruissement enthousiaste, vingt-six mains se lèvent : la grève est reconduite jusqu’à mercredi 10 heures. Une équipe va se rendre au barbecue organisé à Corbeil. « On va leur rendre visite pour essayer de les convaincre de revenir en grève lundi. » Le mouvement est vivant, et bien vivant. Si les grévistes échangent, s’organisent et se coordonnent, qui pourra les arrêter ?

Simon Vries