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Tout augmente, surtout le poulet !

Ils font désormais partie du paysage dans les manifestations et au moindre rassemblement : CRS, gendarmes mobiles, Brav-M, BAC et autres Compagnies d’intervention de la Police nationale… Différentes variétés d’une même espèce qui prolifèrent sur les trottoirs et jusque dans les champs, que les médias appellent les « forces de l’ordre ». Car si on se perd dans leurs sigles compliqués, leur rôle est simple : défendre l’ordre social, celui des patrons qui veulent nous exploiter jusqu’à 64 ans.

La carotte démocratique puis le bâton télescopique

Au début du mouvement contre la réforme des retraites, ils se faisaient discrets. Les quelques manifestants affiliés au syndicat d’extrême droite Alliance Police nationale se planquaient dans les cortèges de la CFE-CGC. Remontés contre le recul de l’âge de la retraite (c’est que donner des coups de matraque, ça use…), ces étranges syndicalistes étaient mal à l’aise dans des manifs, eux qui sont plutôt habitués à les réprimer pour le compte de leur supérieur hiérarchique mais néanmoins ami : le ministre de l’Intérieur. D’ailleurs ils se sont vite lassés des manifs… ou plutôt des cortèges, car ils sont toujours là, mais de l’autre côté !

Lors des premières manifestations en janvier jusqu’à celles de mars, les CRS et les gendarmes mobiles1 se faisaient discrets. Pas sûr que le schéma national du maintien de l’ordre, révisé fin 2021, corresponde à une nouvelle « doctrine ». Disons plutôt que la tactique avait un peu changé, notamment à Paris. La préfecture a peut-être privilégié le dialogue avec les organisations syndicales en éloignant les flics des cortèges, plus en retrait dans les rues adjacentes pour limiter les tensions. Les causes sont multiples2, mais le résultat est clair : de janvier à mars, la plupart des manifestations sont restées calmes.

Il y avait, entre autres calculs, celui du gouvernement comptant sur les institutions politiques, d’éventuelles illusions dans le jeu parlementaire et une tactique syndicale des grèves séquencées pour canaliser la contestation, en espérant qu’elle s’essouffle. Ce n’était pas le moment de jeter de l’huile sur le feu. Politiciens de gauche et leaders syndicaux n’alertaient-ils pas Macron, sur « une situation qui pourrait devenir explosive »3 pour justifier leur rôle d’intermédiaires entre l’État et la rue, pour organiser et « encadrer » les manifestations, comme le disent les ministres.

Mais une fois que le jeu parlementaire et le « dialogue social » de la Ve République se sont épuisés, la carotte démocratique a cédé la place au bâton télescopique.

L’État, une bande d’hommes armés au service de la bourgeoisie

La tension est montée d’un cran avec les grèves et les blocages qui se sont répandus à partir du 7 mars, tandis que les manifestations se sont tendues. C’est surtout après l’usage du 49.3 que la tactique policière a changé face à la colère qui a éclaté. Preuve que la « doctrine » évolue plus en fonction des besoins répressifs de l’État à un moment donné que de la personnalité du ministre de l’Intérieur ou du préfet. En l’occurrence, il fallait faire rentrer dans le rang une mobilisation qui débordait.

Dès le 16 mars au soir, la police réprimait brutalement les manifestations spontanées et interpellait des centaines de personnes sans motif. L’objectif : vider les rues et dissuader les manifestants de revenir. À Paris, la chasse aux manifestants est devenue le sport favori de la préfecture de police. Jeunes, syndicalistes, jusqu’aux riverains qui passent par là : ce sont sans doute des milliers de personnes qui se sont retrouvées en garde à vue dans les geôles des commissariats franciliens, avant d’être libérées sans poursuites des heures plus tard… Une stratégie de répression judiciaire doublant un déchaînement de violence policière par les brutes épaisses de l’État, comme ces tristement célèbres Brav-M4 lâchées sur les manifestations spontanées. Une violence policière digne des quartiers populaires où sévissent les mêmes agents : les compagnies d’intervention5 ou la récente CRS 8 qui a provisoirement délaissé les quartiers nord de Marseille pour s’occuper des manifestants rennais.

Loin d’être des bavures, leurs exactions sont délibérées, et couvertes par la hiérarchie. La preuve par les mots du préfet de police de Paris justifiant les gardes à vue arbitraires6… et par la décision du Conseil d’État de laisser les flics masquer leur fameux « référentiel des identités et de l’organisation » (RIO) censé être obligatoire pour qu’ils puissent être identifiés en cas de dérapage7. Une impunité assumée jusqu’à Sainte-Soline, après la répression de la manifestation contre les mégabassines qui a fait des centaines de blessés, parfois très graves. La gendarmerie, pourtant très à cheval sur les règles, a officiellement validé des tirs de LBD depuis des quads en mouvement – une pratique pourtant totalement interdite car très dangereuse. Une impunité assumée par Darmanin, qui voulait faire une démonstration de force contre tous les contestataires par le nombre (3 200 gendarmes déployés autour d’un gros trou dans le sol) et les moyens utilisés (plus de 5 000 grenades – essentiellement lacrymogènes – tirées en quelques heures).

L’État choisit donc délibérément de blesser voire de mutiler, « quoi qu’il en coûte » aux manifestants. Gaz lacrymogène, matraques, grenades, LBD : les manifestations sont volontairement transformées en affrontements pour dissuader les participants. Même les services d’ordre syndicaux en font les frais, comme on l’a vu récemment dans plusieurs villes. C’est qu’une fois que la meute est lâchée, elle ne fait pas dans la dentelle…

Dans cette noble mission, les forces de l’ordre ont reçu les soutiens qu’elles méritent et l’aide des nervis d’extrême droite. Marine Le Pen les soutient, même si elle prétend être contre la réforme des retraites pour capter l’électorat ouvrier aux prochaines élections. On ne compte plus les attaques de blocus lycéens, de cortèges étudiants voire de piquets de grève par des fachos qui jouent les auxiliaires des flics.

C’est que Darmanin les excite quand il dénonce le « terrorisme intellectuel de l’extrême gauche ». Le rôle de chef du parti de l’ordre lui va si bien… On comprend mieux pourquoi il trouvait Marine Le Pen trop « molle » il y a deux ans. Les macronistes vont avoir du mal à nous refaire le coup du « barrage républicain », pour nous « protéger » d’une politique qu’ils appliquent eux-mêmes.

Cela dit, l’emploi de la force est un aveu de faiblesse de Macron qui n’arrive pas à enrayer un mécontentement profond, ni à se déplacer sans avoir doit à un concert de casseroles.

Leur force et la nôtre

Macron est certes isolé et impopulaire, pour autant il ne tient pas uniquement par la répression. Cela pourrait arriver, mais on n’en est pas là. Pour autant, la répression franchit des caps et ne peut laisser personne indifférent. En premier lieu celles et ceux qui luttent, et qui sont confrontés à ce déploiement de violence dans les manifestations, à ces restrictions liberticides qui vont de l’interdiction de manifester à la prohibition… des casseroles ! Alors que faire face à cette police dotée d’armes de guerre à laquelle le pouvoir lâche la bride ?

Certains, dans le monde politique, déplorent une tradition française du « maintien de l’ordre » trop brutale et appellent à un changement de doctrine inspiré des autres pays d’Europe qui auraient, parait-il, des doctrines plus sophistiquées et moins brutales pour imposer l’ordre bourgeois et maitriser la contestation sociale8. D’autres essayent en vain de dissoudre la Brav à coup de pétition. D’autres encore à gauche prient pour le retour de la « police républicaine ». Mais n’avons-nous pas déjà des « Compagnies républicaines de sécurité » (CRS) créées en 1944 par un gouvernement allant de De Gaulle jusqu’au PCF ? Elle est tout à fait « républicaine » cette police qui maintient l’ordre social par la force, avec des méthodes qu’elle adapte seulement aux besoins de l’État bourgeois.

Et ce serait nous désarmer nous-mêmes que de demander un désarmement de la police qui n’arrivera jamais ou de rêver d’une police « démocratique ». Une police qui serait au service des pauvres contres les riches ? Oui, il faut dénoncer cette violence policière, la répression et sa fonction. Mais aussi se préparer à y faire face, car l’organisation collective de ceux qui luttent peut aussi dissuader la police. Et aujourd’hui, la meilleure arme dont dispose le monde du travail, c’est la force de ceux qui font tourner la société… et qui peuvent donc la paralyser.

Car si les flics peuvent toujours essayer de ramasser quelques poubelles (si elles n’ont pas brûlé !) quand les éboueurs sont en grève, ils sont incapables de remplacer les salariés qui alimentent les profits patronaux. Là est notre force pour faire reculer Macron… et ses petits soldats.

Hugo Weil

 


 

Notes

1 Ces deux forces sont spécialisées dans le maintien de l’ordre. Les 78 compagnies républicaines de sécurité comptent 130 policiers chacune, soit 10 000 en tout, dont presque 8 000 dédiées au maintien de l’ordre, repérables à leur casque liseré de jaune et à leurs camions blancs. Les 13 000 gendarmes mobiles sont répartis en 108 escadrons de 110 militaires chacun, qui assument différents missions de maintien de l’ordre. On les reconnaît à leur uniforme noir et leur casque bleu sombre.

2 Difficile de déterminer ce qui détermine l’attrait du « cortège de tête » qui précède les manifestations (parisiennes mais pas seulement) depuis 2016 : colère contre les flics, méfiance envers les syndicats… C’est souvent le nombre qui fait sa force, mais pour ce qui concerne son « activisme », les choix tactiques du « black bloc » n’ont sans doute pas grand-chose de spontané…

3 Communiqué de l’intersyndicale du 8 mars.

4 Constituées sous le nom de DAR en 2019 contre les Gilets jaunes, les Brigades de répression des actions violentes sont des unités (en théorie provisoires) de policiers qui obéissent à la préfecture de police de Paris (plus de 800 agents répartis en huit compagnies d’intervention). Légères, pédestres ou motorisées, les Brav sont chargées d’aller « au contact » des manifestants, c’est-à-dire de taper dessus.

5 Les compagnies départementales d’intervention et les compagnies de sécurisation et d’intervention regroupent des effectifs de la Police nationale contre les « violences urbaines » ou pour le maintien de l’ordre. Généralement mal formées, elles sont souvent moins disciplinées et plus brutales que les « experts ». Leur signe distinctif est un liseré bleu sur les casques sombres.

6 « Les interpellations préventives, ça n’existe pas. Nous continuerons à interpeller », Laurent Nuñez sur RTL le 23 mars.

7 Saisi par quatre associations pour contraindre Beauvau à étiqueter les vaches, le Conseil d’État a décidé le 5 avril de ne pas donner suite.

8 Par exemple la « doctrine Godiac », un ensemble de tactiques policières censées permettre une « désescalade » de la violence et un dialogue avec les manifestants. Une méthode qui ne peut fonctionner… que dans un contexte de conflictualité limitée.