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Vingt ans après la brutale invasion de l’Irak et son occupation par les États-Unis

Nous publions ci-dessous une traduction de l’article du 20 mars 2023 des camarades trotskistes américains du groupe Speak Out Now.

Le monde vient de célébrer le premier anniversaire de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, mais il y a aussi un autre anniversaire : les 20 ans de l’invasion et de l’occupation de l’Irak par les États-Unis. Si l’opposition et la condamnation de la guerre brutale de la Russie contre l’Ukraine sont tout à fait justifiées, il n’y a rien de plus indécent que les dénonciations émanant des dirigeants américains si l’on considère le vingtième anniversaire d’une guerre qu’ils voudraient nous voir oublier. Le 20 mars marque le vingtième anniversaire de l’invasion par les États-Unis d’un pays souverain, l’Irak, qui a coûté la vie à des millions de personnes. Le niveau de dévastation observé en Ukraine, bien qu’horrible, est loin de ce qui a été infligé au peuple irakien.

L’Irak avant l’invasion américaine de 2003

L’Irak possède d’immenses richesses pétrolières, environ les cinquièmes réserves connues au monde. Le contrôle de cette richesse pétrolière a toujours été un objectif déclaré de la politique américaine, et ce dès la présidence de Jimmy Carter qui, dans son discours sur l’état de l’Union de 1980, a clairement mis en garde le reste du monde concernant les prétentions des États-Unis sur ce pétrole :

« Que notre position soit absolument claire : toute tentative par une force extérieure de prendre le contrôle de la région du golfe Persique sera considérée comme une attaque contre les intérêts vitaux des États-Unis d’Amérique, et une telle attaque sera repoussée par tous les moyens nécessaires, y compris la force militaire. »

En 2003 ce n’était n’était pas la première fois que les États-Unis envahissaient l’Irak. En 1991, les États-Unis ont lancé l’opération Tempête du désert. Pendant les six semaines qu’a duré l’invasion, mille bombardements ont été effectués par jour, 250 000 personnes ont été massacrées et l’infrastructure irakienne a été laissée en ruine. Les États-Unis n’ont pas renversé le régime du parti Baas de Saddam Hussein au cours de cette guerre, mais des sanctions ont été imposées, empêchant l’Irak de vendre son pétrole sur le marché mondial, ce qui l’a obligé à mettre en place un programme de rationnement alimentaire afin d’éviter une famine. Les sanctions ont également bloqué l’accès aux ressources de base, comme les médicaments essentiels. On estime que ces sanctions ont entraîné la mort d’environ 500 000 Irakiens, principalement des enfants.

Après l’invasion de 1991, les États-Unis ont envisagé plusieurs stratégies pour renverser le régime de Saddam Hussein, mais ont plutôt opté pour une politique d’endiguement, c’est-à-dire qu’ils ont maintenu le régime en place tout en portant gravement atteinte à l’économie irakienne par des sanctions. Les événements du 11 septembre 2001 ont changé la donne : les attaques terroristes contre le World Trade Center ont fourni à l’administration de George W. Bush un prétexte pour envahir le pays et finalement renverser le régime.

Une guerre fondée sur le mensonge

Pendant deux ans et demi, l’administration Bush a monté et rendu public tout un dossier pour justifier la guerre contre l’Irak, sur la base d’une montagne de mensonges colportés par les grands médias. Elle a sciemment menti en affirmant que l’Irak disposait d’un arsenal d’armes de destruction massive et qu’il cherchait à se doter d’armes nucléaires. Ces affirmations étaient manifestement fausses à l’époque et ont été démontrées comme telles. L’administration Bush a publié de faux rapports selon lesquels Saddam Hussein était lié aux auteurs des attentats du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden et Al-Qaïda. En réalité, le régime d’Hussein a réprimé les radicaux islamiques pendant des décennies en utilisant tous les outils de son État policier, y compris la torture. L’administration Bush prétendait que l’armée américaine apporterait la démocratie en Irak et qu’elle serait reçue en libératrice, un mensonge qui allait bientôt devenir indéniable en raison de la résistance généralisée des Irakiens contre les forces américaines, considérées comme des occupants. En octobre 2002, quelques mois avant l’invasion, tous ces mensonges ont été présentés au Congrès pour qu’il vote l’autorisation d’envahir l’Irak, adoptée avec un soutien écrasant des Républicains et des Démocrates.

Les préparatifs de la guerre ne se sont toutefois pas déroulés sans opposition. Partout dans le monde, des gens sont descendus dans la rue pour protester contre les guerres en Afghanistan et en Irak. Les manifestations les plus importantes ont eu lieu en février 2003, juste avant l’invasion de l’Irak. Environ un million de personnes ont manifesté contre la guerre le même jour, sur tous les continents. Dans de nombreuses villes des États-Unis ont été organisées les premières manifestations locales contre la guerre. Elles se sont poursuivies tout au long des huit années de l’administration Bush. Lors de sa campagne présidentielle de 2008, Barack Obama s’est présenté comme un opposant à la guerre afin de profiter de l’opposition générale de la population. Une fois élu, les manifestations contre la guerre ont presque disparu, même si l’administration Obama a maintenu la présence militaire américaine en Irak.

L’Irak détruit par la guerre

Le 16 mars 2003, juste avant le début de la guerre, le vice-président Dick Cheney avait participé à l’émission Meet the Press de la chaîne NBC et promis que les forces américaines seraient accueillies par les Irakiens comme des « libérateurs ». Bien sûr, la plupart des Irakiens étaient heureux de voir la fin de la dictature brutale de Saddam Hussein, mais aucun n’a applaudi le résultat de l’invasion et de l’occupation américaine.

Le premier bombardement américain, baptisé « Shock and Awe » (« choc et stupeur ») par l’armée américaine, a rasé Bagdad. Cette première attaque a coûté la vie à plus de 7 000 civils irakiens en l’espace de deux mois seulement. Immédiatement après l’invasion, les États-Unis ont commencé à démanteler le régime de Saddam Hussein, en commençant par les structures de l’État et l’ensemble de l’économie. Soutenue par l’armée américaine d’occupation, l’administration Bush a nommé le diplomate américain Paul Bremer pour organiser un régime fantoche en Irak. Tout le personnel de l’ancien régime a été licencié et démis de ses fonctions, ce qui a entraîné une désorganisation extrême des services publics et de l’administration. La population, déjà appauvrie, en a énormément souffert. Six semaines seulement après l’invasion, le président George W. Bush a déclaré « mission accomplie », promettant que toutes les opérations de combat majeures étaient terminées. Là encore, il s’agissait d’un mensonge total. S’il est vrai que le régime officiel de Saddam Hussein s’est effondré et a battu en retraite peu après l’invasion, la véritable résistance à l’armée américaine ne faisait que commencer.

Pendant ce temps, les fabricants d’armes, les entrepreneurs militaires (comme Haliburton, dont l’ancien PDG était Dick Cheney, vice-président de l’administration George W. Bush pendant la guerre) et les compagnies pétrolières américaines se sont enrichis comme des bandits. Avant l’invasion de 2003, l’industrie pétrolière irakienne était entièrement nationalisée et fermée aux compagnies pétrolières occidentales. Mais après une décennie de guerre, elle a été largement privatisée et complètement dominée par des compagnies étrangères, comme ExxonMobil, Chevron, Shell et BP.

Les destructions subies par le peuple irakien depuis l’invasion de 2003 sont inimaginables. Bien que les estimations varient considérablement selon les sources, entre 600 000 et un million d’Irakiens ont été tués lors de l’invasion et de l’occupation par les États-Unis. Des dizaines de milliers d’autres auraient perdu la vie en raison de l’effondrement social général qui a résulté de la destruction d’infrastructures telles que l’eau, les égouts, l’électricité et les soins de santé. L’énorme bilan des morts a laissé des centaines de milliers d’orphelins parmi les enfants irakiens.

Les prisonniers ont été détenus sans jugement et torturés dans des installations tristement célèbres comme la prison d’Abou Ghraib. Des balles recouvertes d’uranium appauvri, un métal radioactif utilisé pour percer les blindages, ont été tirées sur des Irakiens. L’uranium appauvri est cancérigène et peut rester radioactif pendant des années en s’infiltrant dans l’air, l’eau et le sol. Les forces d’occupation ont également utilisé des munitions au phosphore blanc, un agent chimique utilisé pour produire de la fumée, mais qui peut coller à la peau et la brûler rapidement jusqu’à l’os. En 2005, les médecins ont constaté une augmentation alarmante du nombre de nourrissons souffrant de graves malformations congénitales dues à des niveaux élevés de plomb, de mercure et d’uranium. Ce phénomène a été baptisé « syndrome de Falloujah », du nom des grandes batailles qui se sont déroulées dans cette ville. À l’époque, les États-Unis ont déclaré toute la ville zone de combat et ont détruit 60 % des bâtiments. La population de la ville a été réduite de 50 % en raison de l’évacuation, de l’arrestation ou de la mort des habitants. Des mercenaires privés d’entreprises telles que Blackwater ont parcouru tout le pays, terrorisant la population. Des quartiers entiers ont été détruits, ainsi que des infrastructures vitales comme les routes, les installations de traitement de l’eau, les centrales électriques, les hôpitaux, etc.

En 2007, environ 40 % des Irakiens issus de ménages à revenus moyens ont fui le pays sans intention de revenir. En 2008, le taux de chômage atteignait 70 %. Le salaire moyen était de 150 dollars (140 euros) par mois. Le prix des biens de consommation a doublé après le début de l’occupation. Seuls 37 % des foyers irakiens étaient raccordés à un réseau d’égouts. Un quart des enfants irakiens souffraient de malnutrition chronique. Soixante-dix pour cent des décès d’enfants sont dus à de simples diarrhées ou à des maladies respiratoires. Quatre-vingt-dix pour cent des hôpitaux manquaient de ressources essentielles. Dans les premiers mois de l’invasion de 2003, on estime qu’environ 12 % des hôpitaux irakiens ont été détruits, ainsi que deux laboratoires de santé publique. En 2013, près de la moitié des établissements de soins primaires n’avaient pas de médecin et on estimait que 74 % des élèves de moins de 15 ans ne pouvaient plus aller à l’école et abandonnaient leurs études en raison de la violence et des pressions financières. En 2013, le taux d’alphabétisation avait chuté à des niveaux jamais atteints depuis 25 ans.

Les coûts de la guerre

La guerre a également eu un coût énorme pour les États-Unis, estimé à environ 3 000 milliards de dollars. Il s’agit d’une somme énorme qui aurait pu améliorer considérablement la qualité de vie de millions de personnes aux États-Unis si elle avait été consacrée à l’éducation, aux soins de santé, au logement, aux infrastructures, etc.

La guerre en Irak s’inscrivait dans le cadre de la « guerre contre la terreur » menée après le 11 septembre 2001, qui a servi à justifier la militarisation accrue de la société américaine, notamment l’augmentation constante des dépenses militaires, la surveillance de masse par l’Agence nationale de sécurité (NSA), la légalisation des arrestations massives et de l’emprisonnement sans procès, ainsi que la militarisation accrue des services de police locaux dans tout le pays.

La guerre a coûté la vie à 4 491 soldats américains. Cependant, la violence des traumatismes liés à la guerre a été bien plus importante que celle des morts au combat. Une étude réalisée en 2021 a révélé que depuis le 11 septembre 2001, quelque 30 177 vétérans déployés au cours de cette période se sont suicidés, soit, pour les États-Unis, plus de quatre fois le nombre de morts au combat.

Le soi-disant « retrait »

En 2007, l’occupation américaine avait non seulement détruit une grande partie du pays, mais elle avait aussi transformé le pays en un conflit interne interminable et meurtrier en raison du vide du pouvoir créé par le renversement du régime de Hussein et le démantèlement de l’État et de l’armée irakiens par les États-Unis.

L’administration Bush a conclu un accord avec le gouvernement irakien, qui était alors de plus en plus aligné sur le régime iranien, pour retirer les quelque 170 000 soldats américains d’ici 2011. En 2008, l’administration Obama, qui venait d’entrer en fonction, était heureuse de réduire ses pertes et d’accepter cet accord. Mais même après le retrait de la plupart des troupes, les États-Unis ont maintenu une ambassade à Bagdad avec quelque 17 000 personnes, y compris des entrepreneurs militaires privés, une armée mercenaire de 5 500 forces de sécurité privées payées par les États-Unis, et quelques milliers de soi-disant « conseillers militaires ». Bien entendu, le retrait des troupes par Obama n’a pas effacé la dévastation qui a laissé le pays en ruine et a ouvert la voie à une escalade de la violence.

Le conflit interne en Irak s’est intensifié après le retrait des États-Unis. L’un des groupes impliqué dans ce conflit s’appelait l’État islamique d’Irak et de Syrie, ou Daech. Il s’agit d’un groupe militant fondamentaliste islamique, similaire à Al-Qaïda. Par l’intermédiaire de ses milices armées, Daech a entrepris de créer un « califat », un nouvel État en Irak et en Syrie fondé sur leur vision de l’islam fondamentaliste. En 2014, Daech contrôlait près d’un tiers de l’Irak, où il menait des actes de terreur contre une partie de la population. Peu après le retrait de ses troupes, les États-Unis ont dû revenir en Irak pour faire face à cette nouvelle menace.

De 2014 à 2017, les États-Unis et d’autres forces ont mené une guerre contre Daech en Irak et en Syrie. Plutôt que d’envoyer un grand nombre de soldats, ils ont mené des frappes aériennes, tuant des milliers de civils. À la fin de l’année 2017, Daech ne représentait plus une menace significative. Si c’était une force barbare, sa violence n’était rien comparée à l’ampleur de la mort et de la destruction causées par les États-Unis, dont les actions ont conduit à son émergence.

L’Irak aujourd’hui

Bien que le pays ait été quelque peu reconstruit après avoir été détruit par les États-Unis, le peuple irakien continue de souffrir des décennies de guerre qui lui ont été imposées. Aujourd’hui, environ 70 % du personnel médical irakien a fui le pays ou a été tué. Diverses études estiment que 60 % de la population irakienne souffre aujourd’hui du syndrome de stress post-traumatique. Environ 70 % des Irakiens n’ont pas accès à l’eau potable et 80 % ne disposent pas d’installations sanitaires de base. En raison de l’utilisation de balles à l’uranium appauvri et d’autres armes toxiques, l’eau, la nourriture et l’air dans diverses parties de l’Irak devraient être toxiques pendant des centaines d’années. En fait, il existe une forte corrélation entre le nombre de malformations congénitales et la proximité des bases militaires américaines et des sites d’attaque. Au total, plus de 9,2 millions d’Irakiens ont été déplacés en tant que réfugiés, que ce soit à l’intérieur de l’Irak ou à l’étranger. Une grande partie du pays est toujours confrontée à des coupures d’électricité régulières et au manque d’eau potable.

Les États-Unis maintiennent actuellement une douzaine de bases militaires en Irak, et quelques milliers de soldats et de militaires sont présents en permanence dans le pays. Après des décennies de guerre et un pays déchiré, des soulèvements de masse ont éclaté en Irak en 2019 et 2020, en particulier parmi les jeunes de la classe ouvrière et les jeunes pauvres qui ne voyaient pas d’avenir viable. Ils s’opposent à des années de politiques d’austérité et de corruption menées par un gouvernement sur lequel ils estiment n’avoir aucun contrôle. Sous le slogan « Nous avons besoin d’une patrie », ils en sont venus, au-delà des divisions religieuses et ethniques, à considérer que leurs luttes étaient liées, opposées au contrôle par des forces extérieures, qu’il s’agisse de l’Iran à l’est, qui domine la politique irakienne à la suite de l’invasion américaine, ou des États-Unis à l’ouest, qui ont imposé des décennies de guerre. En raison de la guerre et de l’occupation américaines, la plupart des Irakiens continuent à subir quotidiennement des conditions de vie extrêmement pauvres et difficiles.

Conclusion

L’invasion et l’occupation de l’Irak par les États-Unis est un exemple horrible du type de brutalité que l’armée américaine exerce dans le monde entier pour défendre ses intérêts. Les États-Unis, qui restent le premier vendeur d’armes mondial, disposent du budget militaire le plus important au monde, avec plus de 750 bases militaires dans 80 autres pays, et dépensent plus que la plupart des autres pays réunis. Les États-Unis ne se soucient pas de la souveraineté des autres pays ni des droits des citoyens des autres nations, et ne se soucient pas des effets de leurs guerres sur les peuples du monde, tant qu’ils peuvent tirer en profit.

Vingt ans plus tard, la guerre des États-Unis contre l’Irak doit nous rappeler le niveau de violence sur lequel repose l’ensemble du système capitaliste : la guerre, la dévastation et la domination sont nécessaires à son fonctionnement. Afin de défendre ce système d’exploitation dans le monde entier, les États-Unis et d’autres gouvernements s’appuient sur la guerre pour imposer leur loi aux peuples du monde.

Un autre avenir est possible, un monde fondé sur le respect et la coopération entre les peuples du monde, plutôt que sur l’exploitation et la domination, un monde où les peuples peuvent vivre sans l’horreur des guerres. Mais cet avenir passe par la fin de ce système. Cet avenir dépend de nous.