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À la Deutsche Post, l’heure est-elle à la grève ?

Dans le cadre d’une remontée des grèves pour les salaires, c’est notamment le conflit à la poste qui se durcit, avec une des premières grèves depuis des décennies qui s’annonce, malgré des propositions d’augmentations à première vue conséquentes de la part de la direction.

Depuis sa privatisation en 1995, la Deutsche Post DHL Group est devenue une multinationale lourde de profit, avec de nombreuses filiales en Allemagne et à l’étranger. Une multiplication des activités et une orientation sur le profit qui en a fait un grand gagnant de la « crise » actuelle : de « seulement » 3 milliards de bénéfices en 2020, l’entreprise est passée à 5,1 milliards en 2021 et à un record de 8,4 milliards en 2022. De leur côté, les salaires n’ont pas suivi : la dernière augmentation en janvier 2022 était de 2 %, et la quasi-totalité des salariés – 140 000 sur 160 000 – gagne entre 1500 et 2000 euros net.

Les postiers se mobilisent pour des augmentations

Dans ce contexte, le syndicat des services Ver.di revendique 15 % (et au moins 500 euros) d’augmentation, et 200 euros de plus pour ceux en formation, dans le cadre de la renégociation des accords de branche1 – où les directions syndicales montrent une certain mordant dans les négociations actuelles, avec des revendications plutôt hautes… mais l’inflation est galopante et la colère des salariés palpable. À plusieurs reprises, des « grèves d’avertissement » ont été appelées, auxquelles en tout près de 100 000 grévistes ont participé. Sur les grosses journées de grève, près de 20 % des colis et 10 % des lettres n’ont pas pu être distribués, alors que les syndicats ont suivi leurs habitudes et appelé à des arrêts de travail par métiers ou région, et non pas au niveau national sur toute l’entreprise. Dans plusieurs rassemblements de grévistes, comme à Berlin où 1500 grévistes étaient rassemblés le 6 février, on a pu sentir la colère des travailleurs. Un climat sortant de l’ordinaire !

Vers une grève illimitée ?

À la dernière réunion de négociation, la direction est sortie de son silence avec une proposition à première vue conséquente : 20,3 % d’augmentation, et l’accord d’une « prime inflation » défiscalisée, de 3000 euros. Mais, comme toujours, le diable est dans les détails. Les augmentations sont échelonnées, et n’atteignent 20 % que pour les plus bas salaires. Par ailleurs la durée de validité du contrat serait de deux ans ! En d’autres mots, pour une majorité de postiers qui ne s’en laissent pas conter, les « augmentations record », sur deux ans d’inflation, se transforment en stagnation ou en recul du salaire réel. Sans compter la « trêve » imposée sur toute cette durée : on n’a pas le droit de faire grève sur les sujets réglés par ce contrat collectif durant sa durée de validité.

Sous la pression des grévistes, Ver.di a donc refusé cette proposition. La prochaine étape dans le processus bien réglementé des conflits sociaux en Allemagne est un vote au niveau de toute l’entreprise, pour ou contre une grève illimitée, qui se déroule jusqu’au 8 mars.

Maintenant, il s’agit encore de surmonter la course d’obstacles des réglementations légales et syndicales. Chez Ver.di, le vote pour la grève doit recueillir 75 % des voix, sinon le syndicat reprend les négociations. Mais, au vu de la participation aux grèves, on peut espérer que la voix des postiers s’exprime massivement pour une grève illimitée.

Cette grève ne serait pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Depuis l’été dernier, les grèves pour les salaires se sont multipliées, y compris dans des secteurs d’habitude « calmes » comme les dockers. En ce moment même, des débrayages ont régulièrement lieu dans la manutention aéroportuaire, et les services publics (du nettoyage aux hôpitaux), en passant par les enseignants. Une vraie grève à la poste contribuerait au réchauffement de l’atmosphère et permettrait à ces secteurs de se mettre en lien, pour imposer ensemble leurs revendications !

Dima Rüger, le 19 février 2023


1 En Allemagne, les augmentations de salaire et d’autres aspects des conditions de travail sont régulièrement négociées dans des « négociations de tarifs » ou accords collectifs, qui fixent pour une durée déterminée les salaires et conditions pour une branche ou un secteur.