Nouveau Parti anticapitaliste

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Dans le marigot de la droite

Chez Les Républicains (LR), on ne sait pas comment enrayer la fuite des électeurs. Depuis le vote de la réforme des retraites, une petite musique médiatique annonce un futur accord de coalition LR-Renaissance et un remaniement en septembre avec un nouveau Premier ministre issu de LR, pour donner à Macron une majorité stable à l’Assemblée. Les réunions du bureau politique de LR doivent être sympas en ce moment : tous les présents autour de la table se regardent en se demandant lequel d’entre eux (ou elles) sera ministre de Macron à l’automne…

Les Républicains dans l’impasse

Imaginons un instant un militant du PS des années 1980 qui aurait été congelé par cryogénie et se réveillerait, tel Hibernatus, le lundi 20 mars 2023, jour du vote de la motion de censure sur la réforme des retraites. Quelle ne serait pas sa surprise de voir la « socialiste » Élisabeth Borne, ex-directrice de cabinet de Ségolène Royal, détruire la retraite à 60 ans, le quasi seul acquis social des deux septennats de Mitterrand ! Pire encore, que penserait-il de députés de droite votant contre une réforme-destruction que toute la droite réclame unanimement à chaque élection depuis 40 ans et qui était encore dans le programme présidentiel de Valérie Pécresse l’année dernière ? La droite française ne sait vraiment plus où elle habite (ni qui elle doit servir) ! Aurélien Pradié, le chef des députés LR frondeurs, se justifie en affirmant que la droite doit « reparler au peuple » et revenir au gaullisme social. Il faut dire que ces dernières années, entre les Rolex de Sarkozy et les costumes de François Fillon, la droite s’était effectivement un peu éloignée des prolos… Les députés LR à l’Assemblée aujourd’hui forment trois mini-groupes de 20 élus : les anti-Macron avec Pradié qui ont voté la censure (essentiellement des députés de circonscriptions populaires du Nord et du Centre qui craignent l’étiquette « candidat des riches »), ensuite les Macron-compatibles élus dans des territoires aisés (Rachida Dati à Paris, le maire de La Baule Franck Louvrier, ou le Niçois Christian Estrosi) et enfin un dernier tiers qui obéit encore à la très réactionnaire direction de Ciotti, Wauquiez et Retailleau.

En plus d’être divisés, les Républicains sont considérablement affaiblis par les défaites électorales successives, à la présidentielle de 2022 (4,8 %, cinq fois moins qu’en 2017) et aux législatives qui ont suivi (62 députés, moitié moins que dans la précédente Assemblée nationale). Impuissants, les LR voient leurs électeurs s’éparpiller façon puzzle : les CSP+ (catégories socioprofessionnelles supérieures) et les urbains vers Macron, les catégories populaires vers le RN et les cathos « tradis » vers Zemmour… Même Sarkozy les a abandonnés pour soutenir Macron (« c’est moi en mieux ! » a-t-il dit). Dans les sondages, le parti LR a quasiment disparu dans de nombreuses tranches de l’électorat et ne subsiste plus significativement que chez les retraités aisés. Ça permet à quelques caciques de conserver les mairies de La Baule ou de Nice mais pas de gagner une présidentielle ! La désignation d’Éric Ciotti à la tête de LR n’a intéressé personne et a provoqué de nouveaux départs d’élus (le maire de Metz après celui de Toulouse en novembre), s’en est suivi une guerre des courants pour se répartir les places, avant l’exclusion d’Aurélien Pradié de la direction du parti.

Incapable de se distinguer de Macron, LR n’a aucun espace politique pour exister : selon les derniers sondages (Elabe, avril 2023), un candidat LR à la présidentielle plafonnerait à 5 % et serait peut-être même derrière Zemmour. Un nouveau scénario catastrophe en perspective avec les élections européennes de 2024, car LR risque de ne pas dépasser 5 % et de perdre tous ses députés au Parlement européen.

Seule lueur d’espoir : que l’impossibilité de se représenter pour Macron en 2027 ouvre un espace pour Laurent Wauquiez. Encore faut-il régler l’épineux problème de la désignation du candidat de la droite : Xavier Bertrand et Aurélien Pradié se verraient bien candidats eux aussi, et le maire de Cannes, David Lisnard, semble y penser en nous rasant… Sans parler d’Édouard Philippe, qui attend son heure pour se positionner sur le créneau de la droite macroniste. Et sans oublier la concurrence de Darmanin et quelques autres ! Quelle richesse !

Le bateau tangue chez Zemmour

À Reconquête, l’ambiance a bien changé. Il y a un an, au printemps 2022, les 120 000 adhérents du parti avaient permis une présence militante importante sur le terrain pendant la campagne présidentielle (et aussi un auto-financement de la campagne sans rien demander aux banques). Mais le score décevant à la présidentielle (7 %), puis l’échec de Reconquête à faire élire le moindre député, ont refroidi les ardeurs des Zemmouriens. Pour ne rien arranger à leurs affaires, le parti reste encore peu implanté (avec de nombreuses fédérations sans local ni budget). Tout y est décidé par Zemmour et un petit groupe de courtisans, car il n’y a eu ni congrès ni élection interne. À quoi s’ajoute l’amateurisme : des militants se sont plaints de ne même pas recevoir les cartes d’adhésion et les infos. Ce qui devrait fortement réduire le nombre d’adhérents en 2023, d’un parti qui a déjà perdu un grand nombre de ses forces vives, notamment parmi les jeunes.

Pourtant, les nombreux candidats présentés aux législatives assurent au parti un financement public conséquent – environ 1,5 million d’euros par an jusqu’en 2027. Mais la question se pose de l’utilisation de cet argent : faut-il salarier grassement des proches de Zemmour qui étendent son réseau d’influence, ou permettre aux sections locales de s’implanter pour les municipales de 2026 ? Le népotisme aidant, il y a peu de chance que le choix soit d’aider les fédérations…

En attendant, Zemmour a publié un nouveau livre début mars et entame une tournée de conférences dans toute la France, manière d’occuper une année sans élections. Un vague projet de revue trimestrielle est aussi en préparation. Les adeptes de la théorie raciste du « grand remplacement » semblent se replier dans les beaux quartiers, même si, contrairement au RN qui a une peur panique de la rue et des dérapages, Reconquête tente des manifestations (manif pour Lola à Paris en octobre dernier, mobilisation contre l’Ocean Viking à Toulon, opération contre le journal Le Poher et les migrants en Bretagne), ce qui reste le seul moyen d’exister pour un parti absent de l’Assemblée nationale. L’arrivée à Reconquête de Philippe Vardon, transfuge de l’extrême droite identitaire, n’est pas pour rien dans une communication typique des éclats médiatiques. On a là deux stratégies opposées : au RN la respectabilité des députés en costume, les sourires et la vidéo de Noël de Marine Le Pen avec ses chats ; avec Zemmour une brutalité assumée, des propos « à la Trump » et une rhétorique de guerre civile. L’une rassemble et rassure quand l’autre fait peur et clive. Le discours anti-pauvres et misogyne de Zemmour contribue encore à le marginaliser dans une grande partie de l’électorat. Il n’est pas du tout certain que son parti puisse réaliser les 5 % nécessaires pour avoir des élus aux élections européennes de mai 2024 et peut-être même pas les 3 % pour être remboursé, d’autant que Michel Onfray pourrait lui aussi présenter une liste souverainiste, ce qui pourrait détourner une partie de l’électorat de Zemmour.

Le RN, sur son petit nuage

En concentrant sa campagne présidentielle sur les bulletins de salaire et les factures, Marine Le Pen a pu résister à l’offensive de Zemmour d’abord, puis récolter 88 députés (contre 8 en 2017), à la surprise générale, y compris la sienne. Le RN vise l’hégémonie sur les catégories populaires des villes petites et moyennes, à l’instar des trois circonscriptions du département de l’Aude, passées en dix ans de trois députés PS (2012) à trois députés RN (2022). En plus de parler de pouvoir d’achat et du quotidien des Français, quelques députés RN sont à l’image de leur électorat : dans l’Eure, le parti a fait élire une femme de ménage et une assistante maternelle. Marine Le Pen a dépassé les 50 % des voix au second tour de l’élection présidentielle de 2022 dans 23 départements sur 101 (contre 2 départements seulement en 2017). La nouveauté inquiétante des législatives de 2022 est que le RN gagne désormais assez facilement des duels de second tour : le « barrage républicain » a pratiquement disparu à gauche et surtout à droite.

Elle surfe sur son image anti-Macron, une caricature d’opposante alimentée par ce dernier, qui déclarait récemment que les opposants à sa réforme des retraites auraient dû voter Le Pen en mai 2022. Marine Le Pen cherche désormais à rassurer les derniers groupes d’électeurs qu’elle estime lui manquer pour gagner : les retraités et les notables.

Certes, le parti a perdu des adhérents et des militants partis chez Zemmour (notamment à Marseille et Lyon où le RN n’a même plus de secrétaire départemental), mais la succession d’Aliot à la tête du parti s’est produite sans heurts. Et les financements publics remplissent les caisses (près de 10 millions d’euros par an). De l’argent qui va principalement servir à rembourser le prêt contracté auprès d’une banque russe. Et Marine Le Pen s’accroche, d’aucuns la présentant en concurrence avec son prétendu poulain Bardella pour la présidentielle de 2027, et vice-versa.

Reste les tares habituelles du RN : l’absence de formation (mais laquelle, pour transmettre des préjugés haineux ?) qui produit un encadrement incompétent et instable (heureusement !). Pour un parti qui vient de fêter ses 50 ans d’existence, l’ancrage territorial est encore très faible (heureusement encore !). La construction d’un appareil militant a été abandonnée depuis longtemps… au profit d’une influence politique plus diffuse, qui reste un grave danger pour les classes populaires. La situation et une certaine efficacité de la démagogie d’extrême droite, devant laquelle le monde politique bourgeois se couche à des degrés divers – en commençant par Macron et sa politique contre l’immigration − imposent aux révolutionnaires de mettre en avant des perspectives de classe radicales, accompagnées d’un travail militant d’importance pour montrer que Le Pen n’est pas du côté du monde du travail. Vraiment pas !

Christian Laine, 24 avril 2023