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Décès de l’écrivain Russell Banks, un auteur engagé

Russell Banks est mort le 7 janvier 2023 à l’âge de 82 ans, d’un cancer.

Présenté comme l’écrivain de la classe ouvrière américaine, des petites gens, il en racontait les difficultés à travers des personnages qui luttent contre la pauvreté et l’injustice. Ses livres dépeignent des personnages écrasés par le poids de l’histoire.

Des origines modestes et un passé d’activiste de gauche

Russell Banks est né le 28 mai 1940 à Newton dans le Massachusetts, dans une famille ouvrière. Son père et son grand-père étaient plombiers. Il n’y avait pas de livres à la maison et son enfance a été marquée par la violence et l’alcoolisme du père. C’est par la lecture et la fréquentation des bibliothèques qu’il est venu à l’écriture.Il a d’abord voulu être peintre, car il aimait dessiner. Mais son départ de chez lui, à l’image de nombreux écrivains américains qui prenaient la route, l’école du terrain, va lui ouvrir des horizons. Il vit de petits boulots, celui de plombier notamment, qu’il a appris en observant son père, puis va finalement à l’université. On est en 1964, il rejoint les rangs des étudiants engagés dans la lutte pour les droits civiques puis dans la lutte contre la guerre du Vietnam. Il s’arrêtera là dans le militantisme radical, disant de lui qu’il « n’était pas un vrai révolutionnaire ». Il devient professeur à l’université, « l’enseignement est plus facile que la plomberie et j’étais plus doué pour ça de toute façon. J’étais meilleur enseignant que plombier »1, et publie un recueil de nouvelles dans une petite maison d’édition militante.

C’est le début de sa carrière d’écrivain. Il a écrit des nouvelles, de la poésie et des romans ; le dernier publié aux États-Unis en novembre 2022, The Magic Kingdom, n’a pas encore été traduit en français.

Écrivain, il reste un citoyen engagé. Il préside ainsi plusieurs années le Parlement international des écrivains, fondé par Salman Rushdie et crée le réseau nord-américain d’entraide aux écrivains réfugiés, qui fournit un asile aux écrivains menacés dans leur pays.

Il s’oppose à la guerre en Irak, affirme qu’en dehors du symbole, important, de l’élection d’un Noir à la tête du pays, les mandats d’Obama n’ont rien changé à la politique des États-Unis et soutient la campagne de Bernie Sanders.

À la question de savoir s’il se définit comme un écrivain américain, il répond : « je suis citoyen américain… mais je ne me sens pas nationaliste, en aucune façon… Le nationalisme est une forme de maladie mentale. C’est très important pour les auteurs de prendre position contre le nationalisme, de ne prêter allégeance aux intérêts d’aucun État en particulier. »

Une œuvre très diverse faite de romans ancrés dans une réalité sociale et historique

Russell Banks écrivait car « c’est un moyen de voyager dans le temps, et géographiquement c’est un moyen d’entrer dans la vie des gens. Je suis toujours curieux de la vie des gens, surtout ceux qui sont différents de moi. Écrire de la fiction me donne accès à une compréhension plus profonde de certaines questions. » Il a donc abordé dans ses romans des sujets très divers, dont un des points communs est l’origine sociale modeste de ses personnages.

Continents à la dérive (1985), met en parallèle les destins d’un réparateur de chaudière d’une petite ville du New-Hampshire qui abandonne son quotidien misérable pour la Floride, attiré par ce nouvel avatar du rêve américain et d’une jeune Haïtienne qui fuit la violence et la pauvreté de son pays pour rejoindre l’Amérique de ses rêves. Destins qui finiront par se croiser.

Affliction (1989), raconte l’effondrement d’un homme ordinaire, pris au piège d’une vie ratée depuis l’enfance à cause de la tyrannie paternelle. Il dénonce les valeurs viriles mythifiées par une certaine culture américaine.

De beaux lendemains (1991), est le récit de l’arrivée d’un avocat dans un village où de nombreux enfants sont morts dans un accident d’autocar. Il monte les habitants les uns contre les autres, ce qui réveille des douleurs enfouies. Le roman a été adapté au cinéma sous le même titre par Atom Egoyan en 1997.

Pourfendeur de nuages (1998), raconte par la voix de son fils Owen la vie de John Brown, abolitionniste (militant pour l’abolition de l’esclavage), responsable du massacre de Pottawatomie (l’assassinat au Kansas de cinq partisans de l’esclavage en 1856), puis de l’attaque de Harpers Ferry (attaque armée de l’arsenal fédéral en Virginie en 1859). Brown et ses fils furent pendus. Brown, personnage réel, était considéré par Malcolm X et d’autres, comme un héros de la lutte contre l’esclavage.

Dans American Darling (2004), une femme de près de 60 ans revient sur sa vie, de sa jeunesse militante pour les droits civiques à sa fuite au Liberia en Afrique, et s’interroge sur son engagement. Il y est question des désillusions et impasses d’un certain activisme révolutionnaire qui enflamma les États-Unis des années 1970, mais aussi, et beaucoup, du Liberia, et de sa population livrée aux guerres sanglantes entre clans militaires (150 000 morts dans une guerre civile entre 1989 et 1997), sur fond de liens de dépendance du pays et plus largement de l’Afrique avec les États-Unis.

Lointain souvenir de la peau (2011), suit un jeune exclu, accusé de pédophilie. C’est l’occasion pour Banks de dénoncer le puritanisme de la société américaine, mais aussi l’exclusion des délinquants sexuels, condamnés par la justice puis frappés d’interdiction d’une vie « normale ».

Nous ne pouvons malheureusement pas énumérer tous les titres d’une œuvre immense. Russell Banks pensait que les livres ne changent pas la société mais qu’ils peuvent transformer les gens. Les siens en tout cas marquent leurs lecteurs en les entrainant dans des univers différents et dépaysants, mais toujours profondément humains.

Liliane Lafargue


1 Les citations de Russell Banks sont extraites d’un entretien publié dans L’Amérique des écrivains, de Pauline Guéna et Guillaume Binet, publié chez Laffont en 2014.