Nouveau Parti anticapitaliste

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Le mouvement du 4 mai 1919 en Chine

Le 4 mai 1919, quelque 3 000 étudiants pékinois se rassemblaient place Tian’anmen pour protester contre la décision, prise à la Conférence de Versailles par les grandes puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale (France, Royaume-Uni, États-Unis, entre autres), de céder à leur allié japonais les « droits » de l’Allemagne sur le Shandong, riche province du nord de la Chine. Rapidement, la contestation étudiante tourna à l’émeute dans la vieille capitale impériale, avant de se propager comme une traînée de poudre à l’ensemble du pays, malgré le morcellement continu de celui-ci depuis près d’un siècle. Manifestations étudiantes, campagne de boycott des produits japonais par les commerçants et grèves ouvrières se succédèrent au cours des semaines et des mois suivants. Dans la foulée, le mouvement pour une « nouvelle culture », animé par de brillants intellectuels comme le journaliste Chen Duxiu, l’écrivain Lu Xun, et de nombreux autres, prenait son essor, rejetant les vieilles valeurs réactionnaires du confucianisme, qu’il s’agisse de l’oppression des femmes ou de la domination des « Mandarins », etc. En somme, un véritable « Mai 19 » chinois qui, quoique durement réprimé par les différents pouvoirs en place, devait ouvrir un cycle révolutionnaire de plusieurs décennies en Chine.

L’ampleur de ce mouvement s’explique à la fois par la menace existentielle qui pesait à l’époque sur la Chine, celle-ci subissant depuis le début du xixe siècle la pression croissante des impérialismes européens, américain et japonais, et par l’incapacité des gouvernements successifs à moderniser le pays pour faire face à cette menace. En 1911, une première révolution avait éclaté. L’empire décadent des Qing avait été aboli et la république fut proclamée. Mais, au bout de quelques mois, son premier dirigeant, le réformateur nationaliste Sun Yat-sen, fut chassé du pouvoir par les généraux et la bureaucratie des « mandarins » qui souhaitaient rétablir l’ancien régime. Le chaos qui s’ensuivit entraîna la partition du pays en « zones d’influences » partagées par des « seigneurs de la guerre » vendus aux intérêts des puissances impérialistes rivales. La Première Guerre mondiale qui éclata en Europe détourna les forces de la plupart des concurrents, laissant en Asie deux nouvelles puissances émergentes : les États-Unis et le Japon. Ce dernier, qui s’était déjà emparé de la Corée et de Taïwan dans les années précédentes, ne cachait plus ses appétits sur le nord de la Chine continentale.

La « conférence de la paix » de Versailles débutée en janvier 1919, grande vente aux enchères des peuples et des territoires des vaincus au profit des vainqueurs de la guerre, devait sanctionner ce nouveau rapport de force en Asie. C’était sans compter cependant avec le sentiment de révolte des populations qui refusaient d’être ainsi vendues comme du bétail. En mars 1919, un vaste mouvement anti-japonais éclatait en Corée, exemple qui ne manqua pas d’être commenté en Chine où s’étaient réfugiés de nombreux opposants coréens. Surtout, depuis 1917, de plus en plus d’intellectuels et de militants nationalistes chinois, coréens, indiens, etc. se tournaient vers la révolution russe. Les bolcheviks à la tête de la iiie Internationale menaient une politique résolument anti-coloniale et anti-impérialiste et appelaient à la révolte les peuples opprimés. Sans surprise, le 4 mai 1919, nombre des étudiants et des intellectuels qui se mirent à manifester dans toute la Chine tournaient déjà leurs regards vers l’URSS. C’était notamment le cas de deux des principaux dirigeants du mouvement : Li Dazhao et son ami Chen Duxiu, directeur du journal La Nouvelle Jeunesse, le principal point de ralliement de ces milieux intellectuels nationalistes. Victimes de la répression qui s’abattit sur le mouvement, ils fondèrent les premiers noyaux de ce qui allait devenir le Parti communiste dès leur sortie de prison. Parallèlement, la force du mouvement permettait à Sun Yat-sen de revenir d’exil et de refonder son propre parti : le Kuomintang, parti nationaliste révolutionnaire.

Près d’un siècle après ces événements, alors que la Chine non seulement n’est plus menacée de disparition par l’impérialisme, mais qu’elle est même devenue l’une des principales puissances capitalistes de la planète, disputant l’hégémonie économique et militaire aux États-Unis, deux partis portant le même nom existent toujours. L’un exerce une dictature féroce en Chine continentale, l’autre l’a exercé jusqu’il y a peu sur la seule Taïwan. Dans les deux cas, en dépit des noms et des références tronquées, l’idéologie et la pratique de ces deux partis sont aux antipodes des valeurs fondatrices du mouvement de mai 1919 : démocratie, égalité, science, progrès, etc. Certes, on continue de célébrer une « fête de la Jeunesse » tous les 4 mai en république populaire de Chine… mais cela n’empêche pas le dictateur Xi Jinping de réhabiliter les valeurs d’ordre et de soumission du confucianisme, de réprimer les étudiants qui protestent en affichant des feuilles blanches pour dénoncer la censure et d’organiser l’exploitation forcenée de la classe ouvrière au profit des nouveaux mandarins de la bureaucratie du Parti et des capitalistes locaux ou étrangers ! Quant à Taïwan, les dirigeants du Kuomintang qui pendant des décennies ont imposé leur ordre corrompu et violent sous le parapluie militaire américain et au prix de violentes effusions de sang, ils ont consacré cette journée à une « fête de la littérature » ! Ainsi, les deux régimes héritiers des promesses révolutionnaires de 1919 se sont empressés de les renier et de les dissimuler sous des mensonges plus ou moins grossiers. Il appartient à la jeune génération des travailleurs et des intellectuels, de part et d’autre du détroit de Taïwan, de renouer avec elles !

Xavier Artaud et Etienne Bridel