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Le secteur de l’habillement se recompose au détriment des travailleurs

Après Camaïeu, dont la faillite avait fait les gros titres l’année dernière, entraînant avec elle le licenciement de 2 700 salariés, de nombreuses enseignes du secteur de l’habillement sont dans une mauvaise passe. En 2020, c’est l’enseigne Célio qui avait supprimé 383 emplois. Début 2023, c’est Go Sport, Gap France et Kookaï qui connaissent des difficultés, elles ont été placées en redressement judiciaire. L’enseigne de chaussures San Marina est désormais en liquidation judiciaire faute de repreneur. Cette liquidation aboutit à la suppression future de 600 emplois salariés en France. La marque Pimkie connaît également des difficultés et a annoncé la suppression de plus de 60 magasins et 267 postes d’ici 2027 à la suite de son rachat par un consortium après que la famille Muller s’en est débarrassé : la marque n’était plus assez compétitive sur le marché pour elle. Entre changement d’habitudes de consommation, mais aussi baisse du pouvoir d’achat, de nombreux emplois sont menacés dans le secteur surtout sur ces marques françaises milieu de gamme : d’où proviennent ces difficultés et cette apparente désaffection des consommateurs ?

La crise du Covid comme catalyseur

La crise du Covid n’a fait qu’amplifier des modifications profondes dans les habitudes de consommation : les ventes en ligne se multiplient, notamment sur les sites de seconde main et de fast-fashion qui ont vu leur activité augmenter de 30 % en 2021. En 12 ans, le marché du textile a perdu 30 % de sa valeur selon l’Institut français de la mode, alors que le marché de la seconde main représentait six milliards d’euros en France l’année dernière, contre un milliard seulement en 2018. En parallèle, les ventes en magasin baissent en moyenne. Ainsi, 70 % des ventes des commerces d’habillement ont baissé entre 2019 et 2020 alors que le site de seconde main Vinted a vu ses chiffres grossir (en 2021, le chiffre d’affaires du groupe a augmenté de 65 %). Désormais, le marché du e-commerce s’est stabilisé à un niveau bien au-dessus de ce qu’il était avant le Covid alors que les ventes d’habillement et de textile en boutique n’ont jamais retrouvé leur niveau d’alors.

La polarisation du marché de l’habillement

Il faut ajouter à cela que la période actuelle d’inflation détourne les ménages de ce type d’achat et accélère la polarisation du marché. Des marques comme Zara, H&M ou Célio tentent des montées en gamme pour survivre avec plus ou moins de succès. En effet, le marché du luxe se porte, lui, particulièrement bien, tendance qui reflète plus généralement la hausse des inégalités dans la société : pour des riches de plus en plus riches, les habits de luxe et pour les pauvres, de plus en plus pauvres, la seconde main mais, surtout, la fast-fashion à tout petits prix. En 2021, c’est 70 % des ventes d’habillement qui ont eu lieu sur des entrées de gamme, comme en témoigne le succès des enseignes Kiabi dont le chiffre d’affaires a augmenté de 10 % en 2022. Ces enseignes investissent également dans le marché juteux de la seconde main en proposant ce service dans leur magasin et grignotent des parts de marché aux start-ups de ce secteur qui tentent d’entrer sur le marché. Dans la société capitaliste, ce sont très souvent les plus gros qui gagnent.

Les franchises et le milieu de gamme fragilisés

Sentant le vent tourner, les grands groupes cherchent à se débarrasser de leurs brebis galeuses, les enseignes de milieu de gamme. C’est le cas de l’Association familiale Mulliez (AMF) qui, voyant les magasins Pimkie perdre en rentabilité, les a revendus, s’évitant ainsi de porter sur ses épaules le poids d’un nouveau plan social. C’est qu’il ne faudrait pas entacher la notoriété de cette famille qui cherche à se donner une réputation de « patron sympa ». Facile quand on laisse quelqu’un d’autre appuyer sur la gâchette. Ces enseignes de milieu de gamme, souvent franchisées, voient leur part de marché se contracter face à la concurrence de géants de la mode comme Shein ou Pretty Little Thing, dont les conditions de production ont fait scandale tant au niveau écologique que social sans pour autant que leurs ventes baissent. Autres grands concurrents : les déstockeurs comme Zeeman ou Stockomani qui proposent notamment les invendus de ces mêmes enseignes de milieu de gamme à des prix modiques. La disparition de ces enseignes témoigne d’une nouvelle forme d’éclipse du commerce de centre-ville dans les villes moyennes . Ironie du sort, ces mêmes franchisés avaient en partie contribué à la fin du petit commerce indépendant il y a quelques décennies.

Pendant que les patrons s’engraissent, les salariés paient le prix fort

Derrière ces fermetures, faillites et difficultés comme celles de Camaïeu, Gap France ou encore Go Sport, un nom revient souvent : celui de Michel Ohayon, 104e fortune de France. Cet homme d’affaires investit dans l’immobilier de luxe et les enseignes de vêtement via son fonds d’investissement, la financière immobilière bordelaise (FIB), puis la société Hermione People and Brands (HPB) à la tête de laquelle il a nommé ses fils (pourquoi s’embêter ?). Spécialiste du rachat à bas prix d’enseignes en difficulté, il axe sa communication sur le pari de la redynamisation des villes moyennes et la volonté de « sauver des emplois ». Un vrai saint ! Pourtant, au moment de la faillite de Camaïeu, le tribunal judiciaire déplore n’avoir aucune preuve des investissements promis lors du rachat par Ohayon pour conserver les emplois. D’après Mediapart, il est coutumier du fait, et procède ainsi pour lever des fonds et s’engraisser sur le dos des salariés avant de les abandonner à leur sort. Concernant Camaïeu, ce sont 41 millions d’euros de trésorerie qui se sont volatilisés en 2021 – une plainte est d’ailleurs en cours. Pour Go Sport, c’est la modique somme de 36 millions d’euros qui a été transférée sans justification aucune vers la société HPB, celle des fils Ohayon. Le tribunal de commerce de Grenoble devrait rendre le mois prochain son verdict concernant le maintien ou non de la famille Ohayon à la tête des magasins Go Sport. En attendant, les 2 160 salariés de l’enseigne retiennent leur souffle1.

Les difficultés que connaît le marché de l’habillement ne sont en aucun cas des circonstances atténuantes, ce n’est pas aux salariés de payer pour les décisions de leurs patrons. Une solution simple existe d’ailleurs et permettrait de sauvegarder les emplois : l’interdiction des licenciements et le partage du temps de travail entre tous ! Michel Ohayon & fils sont loin d’être des exceptions car, dans le milieu de l’habillement comme dans tous les secteurs, tout patron vit aux dépens de ceux qu’il exploite.

Emma Martin