Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Pour les gardiens de troupeaux, le loup, c’est le propriétaire de la bergerie

Source de l’image : site du syndicat CGT des gardiens de troupeaux : https://sgtcgt.noblogs.org/

Parmi les images d’Épinal de l’agriculture il y a les troupeaux qui pâturent paisiblement les montagnes à la belle saison. Dans l’imaginaire et plus récemment dans le débat politique, et tout particulièrement à gauche, le pâturage s’est imposée comme une solution qualitative et à taille humaine contre la si décriée viande industrielle.

Mais au-delà des représentations idéalisées, la réalité est bien différente. Pour que les bêtes estivent en altitude, il faut que des vachers, des chevriers et des bergers (pour les brebis) s’en occupent. Et ceux-là, salariés par les éleveurs qui possèdent les troupeaux, subissent l’exploitation la plus féroce.

Vous avez dit « vie au grand air » ?

Une saison d’estive, c’est au moins cinq mois entre mai et octobre. Durant ces cinq mois, le gardien, ou la gardienne, n’a pas vraiment de temps mort. Tous les jours, du matin au soir, il faut surveiller les bêtes, les déplacer d’une zone de pâturage à une autre, effectuer les soins requis ainsi que la traite dans les exploitations laitières. La nuit, même si les animaux sont dans un enclos électrifié, le sommeil n’est que d’une oreille car, dans les montagnes, les loups rôdent et peuvent attaquer.

Les semaines font 35 heures sur le papier, mais beaucoup plus dans la réalité, sans paiement de toutes les heures supplémentaires évidemment, et parfois d’aucune d’entre elles. Elles durent six jours, parfois sept car même si le repos est obligatoire, certains éleveurs s’assoient dessus. Les gardiens sont logés sur place, dans des conditions variables. Seules les cabanes en dur sont légales, mais parfois, il n’y a qu’une caravane ou pire, une tente. Et même dans les cabanes, le confort peut laisser à désirer. Il se peut ainsi que l’eau, issue de sources captées, soit contaminée.

Tout ça pour un salaire dérisoire sur lequel il faut en plus entretenir son équipement (chaussures, parapluie en bois qui coûte jusqu’à plus de 200 euros) et son chien ! Si les gros chiens blancs qui protègent les bêtes, les « patous », sont possédés par les éleveurs propriétaires des troupeaux, chaque berger en a également un qui l’aide à conduire le bétail (typiquement, un border collie).

À la fin de la saison, les gardiens enchainent sur une nouvelle saison d’hiver, ou bien passent quelques mois au chômage pour se reposer, avant d’attaquer l’année suivante, mais sans garantie de retrouver une place, puisque les contrats saisonniers sont par définition à durée déterminée. On dit qu’en moyenne, un gardien fait cinq saisons avant de changer de secteur…

Petits exploitants mais gros exploiteurs

De l’autre côté de l’exploitation, il y a les éleveurs, propriétaires des troupeaux. Pour atteindre la taille critique qui leur permet d’embaucher avec profit un gardien, ils s’organisent en « groupement pastoral ». Tandis qu’une exploitation ovine (brebis) compte en moyenne 80 têtes de bétail, un berger peut en avoir jusqu’à 1500 voire 2000 à l’estive… Il se retrouve donc face à plusieurs patrons coalisés tandis que lui ne peut guère compter sur plus d’un collègue pour se battre avec lui. Autant dire que le rapport de force est franchement en sa défaveur.

Certes, les petits éleveurs sont eux-mêmes sous la pression des banques, de leurs fournisseurs, des industries agro-alimentaires, de la grande distribution… Ils ne manquent pas, d’ailleurs, de le répéter aux gardiens pour justifier des conditions déplorables dans lesquelles ils les mettent ! Mais pourquoi serait-ce à ces derniers de payer pour que, au bout du compte, ce soient les grands capitalistes qui s’enrichissent ?

Les petits exploitants sont bien victimes d’un système capitaliste qui leur fait croire qu’ils sont maîtres de leur ferme alors qu’ils sont soumis à plus gros qu’eux. Et pour nourrir les profits de ces « gros », il faut, en plus d’une sévère exploitation du prolétariat agricole, de nombreuses aides publiques. Les aides directes de la politique agricole commune (PAC) représentent 165 % du résultat courant des exploitations ovines et caprines (chèvres)1. Et la quasi-intégralité du salaire des bergers et chevriers est payée par les aides du « plan loup » pour lutter contre ce prédateur.

De leur côté, les gardiens de troupeaux s’organisent pour défendre leurs intérêts. À travers les massifs, collectifs voire syndicats se montent. Des rassemblements sont organisés pour mettre la pression sur les éleveurs et leur organisation représentative, la FNSEA (voir encadré ci-dessous).

C’est de là, des luttes des prolétaires de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, que peut surgir une perspective contre ce capitalisme qui les exploite et qui fait le baiser de la mort aux petits exploitants. Au plus fort du mouvement des agriculteurs, le syndicat CGT des gardiens de l’Isère avait, dans un communiqué, dénoncé les hommes d’affaires de la FNSEA et appelé à « des convergences nouvelles entre la classe ouvrière et les petits paysans exploités » pour imposer la « socialisation de l’agriculture ». Les formes que prendraient cette socialisation restent à définir, mais l’orientation à prendre est bien celle-là.

Bastien Thomas

 


 

La FNSEA, c’est aussi et surtout un syndicat patronal

Depuis 2020, une nouvelle convention collective nationale de la production agricole est en vigueur. Elle est venue remplacer la myriade des conventions territoriales ou professionnelles qui existaient jusque-là. La FNSEA, principal syndicat agricole c’est-à-dire principale organisation patronale du secteur, voulait en profiter pour s’attaquer aux maigres avantages dont pouvaient bénéficier certaines fractions du prolétariat agricole. Par exemple, les éleveurs des Hautes-Alpes étaient obligés de payer les gardiens à 44 heures par semaine, avec majoration des heures au-delà de 35. Ailleurs, les contrats font souvent 44 heures, mais dans ce département, impossible d’y déroger. Bon, cela fait tout de même 7 h 20 sur six jours, soit toujours en dessous de la réalité du travail : c’est dire les « privilèges » qu’il était urgent d’abolir…

Finalement, la convention a prévu que ces avantages locaux perdurent sous la forme d’accords collectifs à définir dans le cadre d’un dialogue social bien cadré. Et comme on pouvait le craindre, la FNSEA s’est montré beaucoup moins coopérative quand il a fallu passer aux négociations concrètes. Dans la foulée du mouvement des agriculteurs de cet hiver, se sentant pousser des ailes, trois sections départementales de la FNSEA ont même dénoncé les accords déjà conclus !
 


 

1 https://www.inrae.fr/actualites/comment-pac-soutient-elle-revenu-agriculteurs