Nouveau Parti anticapitaliste

Nos vies valent plus que leurs profits

Quelles perspectives les révolutionnaires peuvent-ils avancer dans le mouvement ?

Discussion avec les camarades autour de Philippe Poutou et Olivier Besancenot

Le mouvement contre la réforme des retraites a, depuis ses débuts en janvier, un caractère politique qui va bien au-delà du report de l’âge légal. L’utilisation du 49.3 la semaine dernière a redonné un souffle supplémentaire au monde du travail et à la jeunesse dans ce bras de fer. La répression policière féroce, avec son lot de militants mutilés et handicapés, met à nu un pouvoir qui, avec ou sans vernis « démocratique » institutionnel, gouverne au service du patronat. La situation permet (et devrait imposer) aux militants révolutionnaires, à une échelle plus large que d’habitude, de « poser la question du pouvoir », non en termes de réforme des institutions, mais en expliquant que, derrière la Cinquième République et la personnalité de son président, le pouvoir est entre les mains de la bourgeoisie.

À cet État au service du patronat et de la finance, les travailleurs en lutte pourraient opposer la perspective de leur propre pouvoir, et, déjà, par leur force et par une plus grande organisation de leur classe, de devenir un contre-pouvoir qui mette son nez dans les affaires de la bourgeoisie.

« Dégageons Macron ! » Oui, et le Medef aussi !

Macron focalise la colère ouvrière parce qu’il incarne si bien la classe sociale dont il défend les intérêts. C’est pour cette raison que nous ne pouvons pas en rester à la volonté bien légitime et répandue de le « dégager ». Pour le remplacer par qui ou quoi ? Les dernières législatives ont montré que le « tout sauf Macron » favorisait le RN tant que l’alternative restait enfermée dans les urnes. Dans une période de mouvement comme celle que nous vivons, les travailleurs et les jeunes font l’expérience que leur nombre, leur propre activité – au premier rang desquelles la grève – peuvent exercer une pression importante sur le pouvoir. Les bégaiements et crispations de la majorité relative macroniste au Parlement en sont l’illustration depuis une semaine. Une victoire contre la réforme des retraites en serait une démonstration éclatante qui ouvrirait d’autres possibilités, et sur le plan revendicatif (salaires, emplois, interdiction des licenciements) et sur le plan des droits politiques, pour les travailleurs, pour les immigrés…

Ce contre-pouvoir ouvrier qui se cherche a déjà remis au goût du jour l’idée de lutte de classe, bien que la focalisation sur Macron obscurcisse un peu les choses, et permette à des patrons de grands groupes, qui pourtant savent bien qu’ils sont les bénéficiaires directs et indirects de cette réforme, de se défausser – silence du Medef depuis deux semaines maintenant.

Derrière une démocratie bourgeoise (dont les limites sont en général inversement proportionnelles à la richesse du pays et à la marge de manœuvre que peut se permettre la classe dominante) se cache la dictature du capital. Ce n’est pas une question de président ou de présidentialisme : la Quatrième République, moins présidentielle, plus parlementaire, avait tout autant son 49.3, appelé alors « pouvoirs spéciaux », qu’un socialiste avait utilisé jadis, avec l’appui du Parti communiste français pour intensifier la guerre coloniale en Algérie, par exemple. En finir avec Macron « et son monde », cela ne veut pas dire changer le petit personnel politique ou replâtrer des institutions au service de la bourgeoisie, mais ouvrir la perspective d’un gouvernement des travailleurs né dans le feu des mobilisations.

Ce sont ces perspectives communistes et révolutionnaires que nous devons discuter, dont nous devons convaincre ceux qui participent au bras de fer en cours.

Le mythe d’un gouvernement de gauche fidèle aux intérêts des travailleurs

Toute recherche de raccourcis sur cette voie ne pourra mener qu’à des impasses. Prétendre, comme le font les camarades autour de Philippe Poutou, que l’urgence serait de « réunir au plus vite » « toutes les organisations de la gauche syndicale, politique, associative » pour discuter la mise en place, en remplacement de Macron, « d’un gouvernement aussi fidèle aux intérêts des salariéEs que celui de Macron l’est à ceux du patronat1 » est une supercherie. Sans accélérer d’un jour la possibilité pratique d’émergence d’un pouvoir ouvrier, ce genre de déclaration entretient les illusions dans la gauche institutionnelle.

Or, que propose réellement cette gauche au mouvement, pendant que les camarades autour de Philippe Poutou font croire qu’elle pourrait engager la bataille pour un gouvernement au service des travailleurs ? PCF, Verts, LFI et PS ont déposé en commun une demande de référendum d’initiative partagée (RIP), proposition reprise par l’intersyndicale nationale, qui dirige le mouvement mais est incapable elle-même de lui offrir d’autres perspectives que les mécanos institutionnels de la gauche. C’est-à-dire une vaste tromperie : une procédure soumise à la bonne volonté des Chambres, du Conseil constitutionnel et du président et qui prend près d’un an et demi si elle voit le jour. Sans parler de la question proposée par la gauche : même pas le retour à 60 ans, mais toujours 62 ans et les 43 annuités resteraient de mise. Ce RIP est un éteignoir pour le mouvement.

Si les militants d’une partie de cette gauche, en particulier du PCF et de la FI, sont parmi les plus actifs dans la grève, sur les piquets, la direction de ces organisations mène, elle, une politique sans ambiguïtés, dirigée vers les impasses institutionnelles. La FI, comme le RN, rêve à une possible dissolution de l’Assemblée – chacun espérant rafler la mise électorale (un jeu plus que dangereux pour la gauche, car le RN est en embuscade surtout sur le terrain électoral qui lui est plus favorable). Si les revers récents de Macron se transformaient en déroute sous les coups de butoir d’un mouvement qui continue, de grèves qui s’amplifient et d’une jeunesse qui entre en lutte, la dissolution serait certainement le dernier recours d’un gouvernement minoritaire et lâché par ses propres alliés. Mais ce n’est pas une perspective pour le mouvement, bien au contraire ! C’est au nom d’une dissolution et des élections législatives de juin 1968, présentées comme l’occasion de se venger du pouvoir de De Gaulle, que la gauche et les syndicats ont enterré la grève générale… et que la droite en a repris à nouveau pour 13 ans.

La VIe République de Mélenchon à l’honneur ?

Peut-être conscients des difficultés de leur proposition abstraite de « gouvernement fidèle aux intérêts des salariés » avec une gauche qui rêve seulement d’un référendum et de quelques députés supplémentaires (rêve-t-elle encore d’un Mélenchon Premier ministre ?), les camarades autour de Philippe Poutou ont ressorti un autre dada de Mélenchon : « une Assemblée constituante sur les cendres de la Ve République. »2 L’imagination de ces camarades ne dépasse pas les limites d’une urne. N’ont-ils pas tiré les leçons récentes du soulèvement populaire et ouvrier de 2019 au Chili, enterré sous les promesses doucereuses d’une Constituante qui a même échoué à la simple tâche de remplacer la Constitution de Pinochet ?

La tâche de l’heure est double pour les militants révolutionnaires. Permettre au mouvement d’aller au bout de ses possibilités en aidant les travailleurs en grève à diriger leur propre lutte par la multiplication des AG, comités de grève, interpros et leur centralisation à toutes les échelles. Cela, en entraînant le plus largement possible tous les militants du mouvement, syndiqués de tous syndicats, de toutes organisations politiques, ou non syndiqués. Et en même temps, faire apparaître à l’échelle la plus large nos perspectives révolutionnaires de renversement du capitalisme – un système d’exploitation de la très vaste classe du prolétariat qui est dans la rue contre un Macron président des riches. Cela passe par une démarcation nette vis-à-vis de la gauche institutionnelle et un pôle de regroupement des révolutionnaires. Car c’est dans une situation de luttes sociales comme celle d’aujourd’hui qu’une nouvelle génération de militants peut naître et prendre sa part à la construction d’un parti révolutionnaire des travailleurs, porteur d’avenir.

Raphaël Preston


 

1 Tract du 16 mars, publié sur le site le 17 mars à 10h31.

2 Communiqué du 21 mars publié à 13h26.