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Yallah Gaza, film documentaire de Roland Nurier

Yallah Gaza a été tourné il y a deux ans. Sa sortie sur les écrans en novembre dernier avait fait un peu de bruit. La députée LFI Ersilia Soudais en avait programmé la projection à l’Assemblée nationale le 9 novembre et, à cette occasion, avait invité Maryam Abu Daqqa, militante palestinienne du FPLP, à y participer. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, avait interdit à cette dernière l’accès à l’enceinte de l’Assemblée. La militante palestinienne s’est vu signifier un arrêté d’expulsion par le ministère de l’Intérieur, arrêté annulé dans un premier temps par le tribunal administratif de Paris, mais confirmé en appel par le Conseil d’État. La militante avait été incarcérée avant son départ pour Le Caire.

Le documentaire a donc été tourné avant la guerre déclenchée par le gouvernement israélien à la suite des attentats terroristes du 7 octobre, guerre qui se poursuit toujours, les buts génocidaires des dirigeants israéliens devenant chaque jour plus évidents. Ce film n’a pas plu au rédacteur du Monde, Jacques Mandelbaum, qui écrivait le 8 novembre dernier : « Il est loisible de considérer que la barque est un peu chargée. Tout particulièrement quand les attaques du Hamas auxquelles répond “l’agresseur israélien” sont systématiquement passées sous silence, de même qu’est notablement euphémisée la charte de ce mouvement, qui prévoit toujours la destruction pure et simple de l’État d’Israël, serait-elle expurgée de la haine antijuive de la version originelle de 1988. » Loin de nous l’idée de défendre le Hamas qui, comme toutes les organisations nationalistes, encore plus s’il est possible par son caractère obscurantiste religieux, ne peut que proposer une impasse à ceux qu’il prétend défendre. Mais nous revendiquons pleinement la nécessité de mettre à bas l’État sioniste qui, structurellement, est un État colonialiste, dont l’armée a été bâtie contre les peuples de la région. Le peuple palestinien, les peuples de la région, mais aussi la population israélienne ne pourront vivre en paix tant que ce bras armé de l’impérialisme restera en place. Si nous sommes révolutionnaires, c’est bien que nous pensons qu’aucun des États existant dans le monde n’est « aménageable » pour le bien des populations. Mais cela devrait être une évidence en ce qui concerne l’État sioniste.

Ce documentaire bouleversant a deux objectifs. Documenter d’une part les innombrables crimes de guerre de l’armée israélienne, quasi quotidiens, et, d’autre part, la capacité de la population de Gaza à vivre, s’éduquer, danser et aimer, malgré les dernières quinze années de blocus israélien et la possibilité qu’une bombe sème la désolation et la mort à tout instant.

Le film montre donc les crimes de l’armée israélienne : bombardements de « représailles » sur les populations civiles, snipers utilisant des armes explosives dans le but de mutiler – « faire des genoux », disent-ils. Dans une des scènes fortes du film, on voit trois soldats israéliens sauter de joie et se féliciter en constatant dans leurs jumelles que l’un d’eux « a eu » sa cible. Les cibles ? Des gosses, dont le professeur Christophe Oberlin – chirurgien connu pour son engagement à Gaza où il se rend trois fois par an pour opérer des blessés et former sur place d’autres chirurgiens –, explique que les balles explosives délibérément tirées dans les genoux provoquent des « trous » où l’on peut passer un poing entier, rendant toute chirurgie réparatrice, toute intervention autre que l’amputation impossible. L’historien Thomas Suarez, l’anthropologue Éléonore Bronstein se succèdent et multiplient les preuves accablantes de la barbarie des dirigeants israéliens. Témoignent aussi l’ex-ministre de la Santé de Gaza, devenu porte-parole à l’international du Hamas, ainsi qu’une enseignante de français de l’université al-Aqsa. Ainsi que la militante palestinienne Maryam Abu Daqqa et Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix (UJFP). On voit d’ailleurs la pépinière créée par l’UJFP en 2019 au sud de Gaza et destinée à fournir gratuitement aux agriculteurs des plants après la destruction de leurs serres par les bombardements israéliens.

Le documentaire donne aussi la parole à des pêcheurs et des cultivateurs. La marine israélienne a interdit toute pêche au-delà de trois miles marins, c’est-à-dire, nous dit le documentaire, une zone partout réservée aux activités de loisir et dont l’étroitesse contraint à pratiquer une surpêche de petits poissons, au détriment de leur reproduction. Les images sont là, montrant des vedettes israéliennes tirant sur d’antiques bateaux de pêche, tandis qu’un cultivateur s’efforçant de travailler sur ses terres, le long du mur érigé par Israël, risque sa vie à chaque instant.

Mais l’autre volet du documentaire, c’est la vie à Gaza. Comme partout où il y a des hommes et des femmes, on riait, on s’amusait, à Gaza, malgré les ruines qui ne peuvent qu’insulter le regard en plein milieu des quartiers d’habitations intactes. C’est d’ailleurs au milieu de ruines que tiennent à se produire les jeunes danseurs de Dabke, une danse traditionnelle de Gaza, ou un peintre de fresque murale. Matchs de foot entre jeunes mutilés sur leurs béquilles, rires de gosses, la vie continuait à Gaza. Et l’on ne peut pas s’empêcher de se demander, en voyant ces jeunes aux beaux visages rayonnants, quels sont ceux qui sont aujourd’hui morts sous les bombes. « Les Turcs ont passé là / Tout est ruine et deuil », disait le célèbre poème L’Enfant de Victor Hugo sur l’île de Chio. À Gaza, tout est ruine et deuil. Et comment ne pas penser à la conclusion du poème : « Ami, dit l’enfant grec, dit l’enfant aux yeux bleus / Je veux de la poudre et des balles. »

Jean-Jacques Franquier