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Avril sans Octobre : leçons de la révolution portugaise, d’Adrián Mora González

Editorial Cangrejo Rojo, à paraître, non encore traduit en français

Pour ceux qui lisent le castillan, il sera possible de se le procurer à sa parution en suivant ce lien : https://www.verkami.com/locale/es/projects/38087-abril-sin-octubre-lecciones-de-la-revolucion-portuguesa

 

 

Interview du camarade Adrián Mora González, militant de l’organisation révolutionnaire Izar dans l’État espagnol et auteur du livre Abril sin Octubre. Lecciones de la Revolución portuguesa.

 

 

Que s’est-il passé au Portugal pendant cette année et demie ?

Au cours de cette période, le Portugal a connu une situation révolutionnaire qui a éclaté à la suite d’un coup d’État perpétré en avril 1974 par une faction de l’armée portugaise organisée au sein du Mouvement des forces armées (MFA). Le coup d’État est né parmi les militaires impliqués dans les guerres coloniales que l’État portugais menait en Afrique depuis 1961 et qui voyaient leur défaite assurée si la guerre se poursuivait. À partir de là, et d’abord comme une réponse corporative à certains décrets du gouvernement de la dictature salazariste de Marcelo Caetano, un groupe d’officiers s’est organisé en ce qui allait devenir le MFA, et a organisé le coup d’État. Celui-ci a coïncidé avec une crise économique et une intensification de la lutte des classes au Portugal (depuis la fin de 1973, des centaines de milliers de personnes avaient participé à des grèves ou à des luttes). Lorsque le coup d’État a mis fin au gouvernement de Caetano, le peuple portugais s’est manifesté sans y être invité et des organes spontanés de participation populaire ont commencé à fleurir dans les entreprises et les quartiers (comités de travailleurs et d’habitants), réclamant de meilleurs salaires, des conditions de travail décentes, purgeant les institutions, occupant des maisons et des propriétés… En d’autres termes, pendant cette année et demie, l’État portugais a vu son pouvoir réduit tandis que la participation d’une classe ouvrière qui, la veille encore, n’était pas prise en compte, s’est élargie. Et ce, avec une armée marquée par les contradictions du moment, dans laquelle de nombreux soldats se sentaient concernés par les revendications des travailleurs et des ouvriers agricoles. Pour la première fois depuis les années 1930, il était possible d’assister à une révolution socialiste en Europe occidentale.

À quoi le titre fait-il référence ?

Mon objectif final avec ce livre a été d’essayer de transmettre, de manière synthétique, les questions les plus pertinentes qui se sont posées au cours de ces mois, en tant que reflet d’un épisode très aigu de la lutte des classes, en me demandant pourquoi, en fin de compte, la révolution n’a pas gagné alors que l’État portugais était si affaibli. Pour ce faire, j’ai réfléchi aux différentes classes en conflit, aux intérêts opposés qu’elles reflétaient, au rôle des différents acteurs (organisations, institutions, armées…) et à l’issue finale du processus. Le titre joue avec deux idées centrales : premièrement, avril a été le début d’un processus révolutionnaire, mais qu’il n’a pas abouti à la prise du pouvoir par les organes populaires dont je parlais précédemment, c’est-à-dire que, contrairement à la révolution russe (1917), il n’y a pas eu d’octobre ; deuxièmement, la révolution portugaise reste un épisode riche en expériences et en leçons pour tous ceux qui veulent transformer le monde, non pas comme des recettes à suivre, mais comme des exemples à méditer.

Quelles ont été, selon vous, les principales leçons ?

J’en relèverai trois : la première est que la révolution est toujours à l’ordre du jour, même si elle semble ne pas l’être, et que lorsqu’elle arrive, elle ne donne aucun signe avant-coureur, il faut donc être prêt ; la deuxième est qu’une révolution bouleverse tout ce qui est ordonné, c’est un moment de créativité, d’explosion, et donc plein de contradictions, ce qui peut conduire à des résultats multiples ; troisièmement, la durée de ces crises est courte, car soit l’État affaibli se recompose et stabilise la situation, mettant fin au « désordre » et réimposant son autorité, soit la révolution est menée jusqu’au bout, mettant fin à l’État. Pourquoi cette dernière ne s’est-elle pas produite au Portugal ? Entre autres raisons possibles, parce qu’il n’y avait pas d’organisation révolutionnaire construite à l’avance, avec une implantation et une influence suffisante pour pouvoir proposer une orientation aux centaines de milliers de personnes qui ont fait irruption sur la scène politique, et qui pouvaient mettre en évidence les contradictions du moment et la manière de les surmonter. À mon avis, au lieu de diminuer, cela a conduit le peuple portugais à placer d’énormes illusions dans le nouvel État né de la révolution et dans les forces armées, parrainées par les organisations qui avaient de l’influence, comme le PCP (Parti communiste portugais) ou le PS (Parti socialiste). La nécessité de renforcer ces organes du « pouvoir populaire » et de créer un gouvernement ouvrier émanant d’eux a ainsi été repoussée, ce qui a donné un temps précieux à l’État pour se reconstituer et réussir à imposer à nouveau son autorité à partir du 25 novembre 1975.

 

 


 

 

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