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Crise agricole, sortir du capitalisme ou nous préparer à mourir de faim ?

Races de Bretagne
La paysannerie est sortie depuis quelques décennies d’une agriculture où beaucoup de paysans vivaient plus ou moins bien de leur ferme et vendaient leur surplus, pour basculer dans un modèle agricole industriel de type capitaliste. Le sort des petits paysans a été scellé et le productivisme a régné sur les campagnes sans partage. Le mouvement fut plus lent en Bretagne, la région étant restée jusqu’à le Seconde Guerre mondiale hors des grands mouvements dits de « modernisation ».

À partir des années 1960 tout a basculé, la Bretagne devenant une puissance agricole et agro-alimentaire.

De crise en crise, le nombre de paysans dans la région a fondu et il ne représente plus désormais que 25 006 exploitations soit 69 420 emplois dont 31 140 salariés agricoles. Le salariat agricole continue à progresser notamment au détriment des emplois familiaux et celui des industries agro-alimentaire a explosé.

Mais s’en tenir à cette seule analyse risque d’occulter la diversité du monde paysan et surtout de limiter le rôle de celui-ci a de simples pollueurs, défendant inlassablement un modèle agricole dépendant des aides diverses des États et de l’UE.

De même il serait suicidaire de laisser les questions de la sécurité alimentaire des populations aux mains du capitalisme, celui qui se nourrit des profits de la terre en ignorant totalement les conséquences de la destruction du vivant.

Agriculture alternative, ou agriculture paysanne ?

Peu importe les termes, nous avons essayé à travers la rencontre avec un jeune agriculteur établi dans le Trégor1 d’esquisser un débat à travers une expérience locale. Cet échange n’est au demeurant plus très fréquent entre militants ouvriers et paysans. Alors qu’il constituait dans les années 1960 et 1970 une expérience originale et fréquente en Bretagne. (« Grève du lait » et grève du Joint français en 1972, de Doux Pédernec2, contre les remembrements, les saisies des terres, les grands projets inutiles : Plogoff, etc.)

Pour aborder la question agricole il faut au préalable parler du foncier, et c’est la première question que nous avons posée à Julien.

 

 

Peux-tu nous présenter comment tu as constitué le foncier de ton exploitation ?

J’ai acquis, grâce à la constitution d’un groupement foncier agricole (GFA), 15 hectares de prairie . 140 co-propriétaires se sont associés à moi pour acquérir ce foncier, le bâtiment de la ferme et un hangar. Je fais de l’élevage en plein air intégral, je n’ai donc pas de gros besoins en bâtiment. Depuis mon installation, j’ai récupéré du foncier en location, 8 hectares du conseil départemental en zone sensible et en bord de mer, des terres appartenant au Conservatoire du littoral (Île-Grande, bois de Pleumeur, landes de Landrellec). Cela permet de les entretenir, car ce sont des espaces protégés. J’ai donc désormais 60 hectares de foncier, dit espace semi-naturel.

Sur ce foncier je fais du pâturage pour un troupeau d’ovins de 140 bêtes. Des moutons de race « lande de Bretagne », espèce très rustique. Je rajoute un peu de céréales et de luzerne déshydratées et du son pendant l’hiver.

Ton troupeau de moutons est donc la base économique de ton exploitation ?

Oui, les 140 brebis me donnent les agneaux que je vais vendre en local. Ils sont abattus dans l’abattoir communautaire de Lannion-Trégor Communauté (LTC) tout proche. J’en commercialise 40 % en vente directe à travers les « paniers du bocage », un système de vente local, grâce aussi à mon réseau, dont un marché d’appoint sur Lannion. L’été, pas mal de touristes m’achètent de la viande. La communauté musulmane me prend le reste pour l’Aïd. Cela tombe bien, originaire de Nantes, je vivais dans un quartier peuplé d’immigrés. Petit clin d’œil à l’actualité…

Je fais aussi de la tonte de moutons en prestation, d’abord dans les élevages, puis chez les particuliers entre mars et septembre. Tu en as fait partie une année d’ailleurs.

Je suis donc en circuit court absolu. J’ai peu de charges et très peu de matériel. Mon revenu est constitué de subventions à hauteur de 50 %, donc de la PAC, des primes à la bête ; au total environ 30 000 euros de subventions.

La constitution du dossier pour la PAC 2023 à 2027 m’a demandé beaucoup de temps, du 15 mars au 15 décembre dernier : « je rentre totalement dans la machine administrative et je fais avec ».
Dans ce travail administratif, il faut créer du consensus et ne rien lâcher. Si je n’ai pas de pépin, j’assure pour les cinq prochaines années, après quand même un travail plus difficile les sept premières (je me suis préinstallé en 2016 et donc 2017 est le démarrage officiel).

Tu es issu du milieu paysan traditionnel ?

Pas du tout, je suis nantais, fils d’un prof et ma mère était fonctionnaire à l’Éducation nationale…

Je suis devenu berger un peu par hasard, jeune j’allais au Larzac avec mes parents, ils connaissaient un berger dans les Alpes. C’est tout.

J’ai fait des études en agriculture pendant six ans, brevet d’études professionnelles agricoles (BEPA), puis BTS production animale, puis une licence en agronomie. Je suis devenu éleveur de moutons un peu par hasard.

Après plusieurs expériences dans le monde agricole, j’ai souhaité m’installer en ovins avec l’aide de la Confédération paysanne ; dans ce cadre, j’ai repris une formation en mouton viande et j’ai fait des stages sur des « contrats d’initiative d’agriculture paysanne », exonérés de cotisations sociales, notamment à Trémargat3).

La crise agricole actuelle a mis sur le devant de la scène des organisations syndicales et des problèmes qui occupaient peu le monde politique, comment te positionnes-tu ?

La FDSEA et les JA représentent le syndicalisme majoritaire et ils occupent tous les niveaux de décision, chambres d’agriculture, coopérations, organismes professionnels. Ce sont les interlocuteurs privilégiés des gouvernements. Depuis la crise du lait de 2009, la Coordination rurale a pris de l’importance, elle est très forte en communication et très corporatiste. C’est le second syndicat du secteur.

Pour moi la crise agricole est une crise démographique.

La question essentielle des revenus paysans est passée au second plan. Seule la Confédération paysanne a tenu le même discours sur toute la période.

La question des structures industrielles délirantes que sont devenus les exploitations agricoles a été occultée. Pourtant c’est elle qui permet de poser une question essentielle de mon point de vue , celui d’une révolution agraire. On retrouve dans la crise structurelle la crise du secteur bio. Qui passe elle aussi loin des radars.

Toutes ces crises posent les problématiques de la maîtrise des outils, du foncier, du type de production, de la maîtrise des volumes. Et en posant la question de la production, on débouche inévitablement sur la souveraineté alimentaire face au modèle exportateur.

Quel modèle agricole voulons-nous ? Celui qui exporte et affame les peuples ?

Pourtant l’équation est simple. Avec l’agriculture bio, on peut nourrir dix milliards d’êtres humains.

La révolution agraire c’est assurer la souveraineté alimentaire par une agriculture vivrière, qui nourrit convenablement, ce qui n’est pas le cas en Europe. Cette agriculture demande l’installation d’au moins un million de paysans en France (agriculteurs et ouvriers agricoles).

La paysannerie évolue et de nombreux agriculteurs cherchent des solutions hors du productivisme, peux-tu nous en dresser un petit tableau ?

Ce travail de prospective et cette attitude dynamique ne sont pas nouveaux. N’oublions pas que Tanguy Prigent4, ministre de l’Agriculture à la Libération était du Trégor et qu’il s’est battu pour la loi sur le fermage, qui constitua une avancée sociale.

Il faut se poser la question de quelle politique publique, comment faire la révolution agraire, comment instaurer une sécurité sociale de l’alimentation ? Comment instaurer un échange entre les producteurs et les consommateurs ?

Sur le foncier il y a l’expérience « Terres de lien de Bretagne », c’est la création d’un GFA qui m’a permis de démarrer mon travail, c’est un exemple.

Un petit mot sur la réforme des retraites qui a des conséquences dans l’installation des nouveaux agriculteurs, par les incertitudes qui frappent les plus anciens sur leur date de départ. Cela n’avait pas été anticipé et démontre bien que tout est lié.

Malgré tous les outils mis à disposition pour l’installation, notamment par le réseau « Agriculture paysanne », l’agriculture manque cruellement de candidats à la reprise des installations existantes (pour mon cas j’ai préféré partir de zéro que reprendre une ferme existante). Un autre exemple sur les possibilités d’installation, période toujours très difficile, c’est le contrat de parrainage, qui permet à un jeune agriculteur de lancer son projet avec son prédécesseur. On peut aussi citer le réseau des lycées agricoles qui est très dynamique.

La lecture du « Paysan impossible » de Yannick Ogor m’a beaucoup questionné sur les limites actuelles de la lutte paysanne, c’est un brûlot très technique qui peut amener à refuser de « rentrer dans la machine ». J’ai fait le choix inverse… mais ce qui est sûr est qu’on doit collectivement se projeter sur le renouvellement des travailleurs agricoles, sinon on aura bientôt un pays sans paysans…
 

 

Grand merci à Julien de m’avoir accordé de son temps et de sa réflexion.

On peut également lire sur le site du NPA plusieurs articles concernant le monde agricole. [https://nouveaupartianticapitaliste.fr/mots-cles/colere-paysanne/]

Thierry Perennes, comité Nathalie Le Mel (Côtes-d’Armor)

 

 


 

 
1  Le Trégor est la région qui va de Tréguier à Morlaix, aire du breton dit « trégorrois ».

2  Usine Doux de Pédernec, où, lors d’une grève de six mois en 1974, les grévistes ont expérimenté des abattages clandestins de poulets sur le mode des travailleurs de Lip : « on fabrique, on vend, on se paie ».

3  Trémargat, petite commune rurale du Centre Bretagne, pépinière d’initiative paysanne et environnementale.

4  Tanguy Prigent, ministre SFIO de l’Agriculture, député de Morlaix, donc trégorrois, on lui doit la loi sur le statut du fermage du 13 avril 1946.