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L’attentat contre le centre culturel kurde (CDK-F) à Paris et les politiques qui en sont responsables

Après la manifestation du samedi 24 décembre place de la République à Paris, de dénonciation et colère contre l’assassinat la veille à Paris de trois membres de la communauté kurde devant le centre culturel kurde de la rue d’Enghien, plusieurs milliers de personnes (près de 10 000) essentiellement de la communauté kurde, venues de toute la France mais aussi de pays voisins, se sont à nouveau rassemblées le mardi 4 janvier à Villiers-Le-Bel pour une cérémonie d’hommage aux victimes. L’une d’elle, Emine Kara, était responsable du Mouvement des femmes kurdes en France, elle avait combattu contre Daech au Rojava (la province kurde de Syrie dirigée par le PYD, branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK, de Turquie) avant de se réfugier en France en 2018 où elle avait vu sa demande d’asile rejetée et en faisait recours devant l’Ofpra quand elle a été assassinée. Mir Perwer, un chanteur kurde, avait déjà fait quatre ans de prison en Turquie de 2014 à 2018 et avait dû fuir en 2021 son pays sous la menace d’une nouvelle condamnation à quelque 18 ans de prison pour avoir défendu ses idées. La troisième victime, moins connue, Abdurrahman Kizil, était lui aussi militant de la cause kurde et un habitué du centre culturel.

Une nouvelle manifestation est prévue à Paris le samedi 7 janvier, pour l’anniversaire de l’assassinat en 2013, à Paris également, de trois militantes du PKK, dont l’une des fondatrices de ce parti réfugiée en France. Le triple assassinat de 2013 contre des opposants au régime turc, et la complicité du gouvernement français qui avait alors étouffé toute enquête pour ménager le gouvernement d’Ankara, dont les services secrets étaient de toute évidence impliqués, était dans toutes les têtes lors de la manifestation de la place de la République et les photos des militantes de 2013 étaient à côté de celles des victimes de la semaine dernière lors du rassemblement de Villiers-le-Bel.

Les assassinats de militants kurdes à Paris, responsabilité et complicité de l’État français

C’était pour préparer la commémoration des assassinats de 2013 qu’avait été prévue, le 23 décembre dernier, la réunion au centre culturel kurde à l’entrée de laquelle le tueur est venu pour cibler ses victimes.

Les deux évènements, à dix ans d’intervalle, n’auraient rien à voir, selon les autorités françaises. Acte d’un tueur solitaire, certes raciste revendiqué, plutôt qu’acte commandité : telle est la version officielle. C’est bien possible. On ne le saura peut-être jamais. Mais en rester là, à ce qui ne serait que l’acte d’un dément raciste, par ailleurs possesseur d’un véritable arsenal d’armes de combat, sans autorisation, est bien commode si on ne veut pas chercher les causes et les responsabilités de cette démence criminelle. Si on appelle démence le fanatisme xénophobe qui est la marque de l’extrême droite.

Darmanin en rajoute. Selon lui, il n’est « pas sûr » que le tireur ait visé « spécifiquement les Kurdes », il aurait seulement « voulu manifestement s’en prendre à des étrangers ». Rien que ça ! Tellement « dément », ce tueur solitaire, que le lendemain de son arrestation sa garde à vue était levée et il était transféré à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Il n’aurait pas été connu de la police « comme quelqu’un d’ultra-droite », a ajouté le ministre de l’intérieur. Tellement inconnu comme « ultra-droite », que ce fanatique était pourtant adepte des clubs de tir, qu’il avait attaqué en décembre 2021 à coups de sabre un campement de migrants, près de Bercy à Paris, lacérant les tentes et blessant deux occupants, faits pour lesquels il était resté un an de détention provisoire, sans jugement (lenteur de la justice !), et dont il avait été libéré le 12 décembre dernier, quelques jours avant de commettre le nouvel attentat.

Mais « raison d’État » : Macron et ses ministres minimisent voire déforment les faits et les responsabilités, lorsque la diplomatie est en jeu et que l’ambassadeur de France en Turquie est convoqué : Erdoğan n’a pas apprécié que le gouvernement français ait laissé manifester des partisans du PKK et s’exprimer une « propagande anti-Turquie » dans les rues de Paris. Un reproche injustifié, pourrait répondre Darmanin : le jour même de la fusillade de la rue d’Enghien, la police s’était précipitée pour empêcher les manifestants accourus sur les lieux de défiler dans les rues, provoquant des échauffourées. Idem le samedi suivant quand la police a bloqué l’avenue menant à la place de la Bastille où le cortège devait se rendre en manifestation, après le rassemblement et les prises de parole place de la République. Bonnes relations avec la dictature de Turquie exigent.

Comme si le racisme et le soutien à la dictature n’étaient pas des crimes politiques

Par delà l’abjection de la personnalité du tueur et/ou son degré de manipulation par les services secrets turcs ou pas, la question de fond est de savoir quels bras l’ont armé. Quelles politiques fabriquent et utilisent ce genre de fanatiques du racisme et de la xénophobie ? La folie raciste criminelle est manifestement le fruit d’un climat et d’une propagande délétères. Pas seulement patronnés par l’extrême droite, mais aussi par un gouvernement et d’un certain racisme d’État qui empilent les campagnes anti-migrants ? L’attaque contre le centre culturel kurde, attentat terroriste ciblé comme l’était celui perpétré 10 ans plus tôt, n’est pas le fait probable du seul gouvernement turc mais aussi des grandes puissances occidentales qui, pour plaire à leur allié turc, ont classé – elles aussi – les nationalistes kurdes et le PKK au rang des organisations terroristes. Mais pas terroriste le régime d’Erdoğan ? Pas terroristes les guerres menées ces dernières années, en Irak, en Afghanistan , par les grandes puissances occidentales ?

Le peuple kurde utilisé un jour, bafoué le lendemain

Les gouvernants français et américains avaient loué, il y a à peine quelques années, le peuple kurde ou au moins les Kurdes de Syrie quand ils avaient eu besoin d’eux dans la lutte contre Daech. Peu leur importait alors que la province kurde de Syrie, sous le nom de Rojava, soit dirigée par le PYD, parti frère du PKK. Ils se sont appuyé sur les troupes kurdes, dans la résistance à Daech, ce Daech ou État islamique que la guerre américaine d’Irak avait engendré avant qu’il émigre en partie dans la Syrie voisine. Les forces américaines menaient la guerre du ciel, les combattants kurdes risquaient leur peau au sol. Mais à peine Daech écarté, la politique ordinaire a repris ses droits. Les grandes puissances ont laissé le peuple syrien aux mains de Bachar Al Assad, et les alliés kurdes de Syrie à la merci des troupes de la Turquie d’Erdoğan, désormais libres d’occuper le nord de la Syrie, désireuses d’affaiblir voire massacrer un Kurdistan syrien plus ou moins autonome qui renforçait les revendications des Kurdes de Turquie à leur propre autonomie et à leurs droits.

Dur sort du peuple kurde, coupé en quatre sur les territoires des États de Turquie, Iran, Irak et Syrie depuis le démantèlement de l’empire au lendemain de la guerre de 1914-1918 et son partage en zones d’influence des grandes puissances occidentales. Un peuple, ou plutôt chacun de ses quatre morceaux, parfois utilisé par le gouvernement d’un ou d’un autre de ces pays dans des conflits armés et en fonction des intérêts de ces puissances occidentales, contre quelques promesses d’autonomie jamais tenues. Toujours opprimé dans les quatre pays, toujours en lutte aussi.

Patriotisme et racisme une arme contre tous les travailleurs

Les évènements d’Iran, où la révolte en cours contre le régime des mollahs a commencé au Kurdistan iranien après l’assassinat par la police des mœurs à Téhéran d’une étudiante d’origine kurde, accusée de mal porter son voile, montre par son extension à tout l’Iran, comment la révolte d’un peuple opprimé peut être contagieuse, et le point de départ d’une révolte sociale plus générale, quand elle échappe à la frilosité et aux frontières du nationalisme. C’est certainement ce qui, à nos yeux, est la limite de la politique et du combat d’un parti comme le PKK, qui est plus parti d’un peuple et de sa cause nationale que parti des travailleurs, malgré son nom. Un parti qui indéniablement mène la lutte pour la reconnaissance des droits d’un peuple, mais sur un terrain souvent plus militaire que politique, riposte aux pouvoirs qui oppriment le peuple kurde mais est bien loin de s’adresser à tous les exploités du pays. Privant de ce fait en partie le peuple kurde de ceux qui pourraient être ses alliés les plus naturels, de la force qui pourrait venir à bout des dictatures et de l’exploitation, cette classe ouvrière dont, dans un pays comme le Turquie notamment, les Kurdes constituent pourtant un bonne partie et sont nombreux parmi ses militants les plus politisés.

Car en Turquie comme en Iran, c’est bien le danger d’une opposition qui s’étende à tous opprimés et exploités que craint le régime d’Erdoğan. C’est pour asseoir sa domination sur l’ensemble de la population pauvre qu’il a, tout comme les régimes turcs qui l’ont précédé, maintenu l’oppression de la minorité kurde et qu’il cultive le nationalisme grand-turc avec ses ambitions militaires en Libye, en Syrie ou ailleurs. Plus la situation économique s’aggrave, plus le régime de Erdoğan rencontre de difficultés, plus il tente d’exciter des sentiments anti-kurdes, accusant cette communauté de tous les maux, pour diviser tout particulièrement les travailleurs et tous les pauvres du pays. Comme le visent ici en France les campagnes anti-immigrés du gouvernement, de la droite et de l’extrême droite.

Une classe ouvrière bon marché en Turquie, dont les luttes sociales et politiques sont réprimées où découragées, c’est tout l’intérêt aussi des grandes puissances dont les multinationales sévissent en Turquie : Renault, Bosch et autres… compréhensives pour cela avec la dictature turque et complices de sa répression. C’est à la demande du gouvernement turc que la police française est allée arrêter en 2020 un militant kurde réfugié depuis 2006 à Bordeaux, pour le mettre dans l’avion qui l’a conduit directement dans une prison turque.

La colère de la communauté immigrée kurde en France face à ces nouveaux assassinats, à la politique du gouvernement turc et à la complicité de la France est aussi la nôtre. La chasse aux minorités par les régimes dictatoriaux du Moyen Orient, le racisme et la chasse aux migrants en France sont non seulement criminelles mais une arme contre tous les travailleurs. C’est toute la classe ouvrière qui doit se sentir concernée.

Olivier Belin

 

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